La circulaire du ministre de l’Intérieur du 28 novembre 2012 sur les conditions d’admission au séjour est l’objet de cette note. Au travers de son contenu, tant dans les avancées que dans les limites, on voit que le combat de la Ligue des droits de l’Homme pour la régularisation des sans papiers reste d’actualité. La Ligue des droits de l’Homme regrette de ne pas avoir été plus entendue sur une régularisation plus vaste, et continue à se battre sur l’ensemble des situations, telles celles qui ne sont pas prises en compte dans le texte.
Cette note est essentiellement un examen, au regard de la circulaire, de la position administrative de quatre catégories d’étrangers en situation spécifique : les parents d’enfants scolarisés ; les couples avec ou sans enfants, dont un des conjoints est en situation régulière; les jeunes arrivés mineurs et atteignant l’âge de 18 ans ; l’admission au séjour au titre du travail. Elle a pour objectif d’expliquer de façon synthétique les dispositions de la circulaire. Il convient de se référer au texte lui-même pour des précisions complémentaires. Signalons avant de détailler les mesures trois éléments communs à toutes les situations :
– elle contient des interprétations de dispositions légales et des critères que les préfectures doivent appliquer de façon uniforme sur le territoire ;
– elle est applicable aux ressortissants algériens et tunisiens sans que soient opposés les accords bilatéraux.
– elle stipule des exigences communes dont « la maîtrise orale au moins élémentaire de la langue française » appréciée au guichet.
Les parents d’enfants scolarisés
Preuves de cinq ans de présence, preuves de trois ans de scolarisation, une vie commune du couple (marié, concubins ou partenaires d’un PACS).
Pour le parent séparé, la preuve qu’il contribue effectivement à l’entretien et l’éducation de l’enfant est demandée (les Préfectures exigent généralement des preuves de versements réguliers ou l’exécution d’une décision d’un Juge aux affaires familiales fixant les droits des parents et une contribution financière).
Le titre de séjour délivré en application de l’article 313-11-7° du Ceseda est un titre de séjour temporaire d’un an » vie privée et familiale ».
Les conjoints d’étrangers en situation régulière avec ou sans enfants
Il s’agit des personnes n’entrant pas dans la catégorie précédente. Le terme de « conjoint » et la référence au regroupement familial semblent renvoyer à une situation de couple marié. Les critères d’appréciation dérogeant à la procédure d’entrée par le regroupement familial sont qualifiés de « pertinents » à partir de cinq années de présence et de dix huit mois de vie commune : preuves à l’appui avec des documents justifiant une adresse commune-contrat de bail, quittances, EDF, etc. Pour les couples pacsés, la circulaire renvoie aux « orientations » de la circulaire du 30 octobre 2004, a priori plus favorable, puisqu’elle limitait à un an la durée de vie commune à établir pour la délivrance d’un titre, mais qui ne concerne que les étrangers pacsés avec un ressortissant français ou communautaire. Faire profiter les étrangers pacsés à un étranger non communautaire des dispositions de la circulaire sera donc un enjeu militant. Le titre de séjour délivré en application de l’article 313-11-7° du Ceseda est un titre de séjour temporaire d’un an « vie privée et familiale ».
Les mineurs devenus majeurs
Il est nécessaire de rappeler qu’il faut au préalable vérifier si les jeunes ne sont pas déjà dans les trois catégories prévues dans le Ceseda (articles 313-11-2°-arrivée avant 13 ans et vivant avec un de ses parents-ou 313-11-2bis ou 313-15-confié à l’ASE avant 16 ans)
Pour ceux qui n’entrent pas dans ces catégories, il est prévu la délivrance d’un titre de séjour « vie privée et familiale » s’ils justifient :
– au moins de deux ans de présence au jour de ses 18 ans (cette condition peut être assouplie si le jeune dispose de l’ensemble de sa famille proche en situation régulière en France);
– une scolarité avec un « parcours scolaire assidu et sérieux »
Il sera ensuite apprécié au cas par cas, les liens privés et familiaux en France et dans son pays d’origine et s’il est à la charge effective de la cellule familiale en France.
Si ces critères ne sont pas remplis, il pourra être délivré « au cas par cas » une autorisation provisoire de séjour (et le cas échéant de travail) pour achever un cycle de scolarité ou un titre de séjour mention étudiant. Il est à noter que de telles dispositions sont en recul par rapport à ce qui était souvent obtenu dans le cadre des mobilisations du RESF.
Le cas des jeunes ayant obtenu préalablement des titres « étudiant », mais qui auraient pu obtenir un titre « vie privée et familiale » au titre de la circulaire n’est pas évoqué. Leur éventuel changement de statut à l’issue de leur cursus est implicitement renvoyé aux dispositions de droit commun et risque de s’avérer problématique, notamment pour ceux qui n’auront pas fait d’études universitaires.
Pour les mineurs isolés, rien n’est prévu hors des textes du Ceseda. Il est simplement mentionné de faire un » usage bienveillant » des textes, de délivrer un titre de séjour « étudiant » pour ceux qui font des études secondaires ou universitaires avec assiduité et sérieux, et de ne pas opposer systématiquement l’existence de liens avec le pays d’origine si ces liens sont » inexistants, ténus ou fortement dégradés ».
L’admission au séjour par le travail
La circulaire mentionne les conditions suivantes pour la régularisation à ce titre qui est celui de l’article 313-14 du Ceseda :
– un contrat de travail ou une promesse d’embauche sur un formulaire CERFA avec engagement de versement de la taxe OFII ;
cinq années de présence ;
– huit mois d’ancienneté de travail consécutifs ou non sur vingt quatre mois (ou trente mois consécutifs ou non sur les cinq dernières années). Il est indiqué que les bulletins de salaires sont une preuve certaine d’activité (sinon d’autres modes de preuves de la relation de travail peuvent être admis-voir le texte) ;
– il est évoqué une durée de trois ans de présence possible si le demandeur justifie de vingt quatre mois d’activité professionnelle, dont huit consécutifs dans les douze derniers mois) ;
– Le titre de séjour délivré sera un titre de séjour « salarié » si le contrat est supérieur à douze mois et sera valable sur l’ensemble du territoire de métropole (sinon « travailleur temporaire », durée minimum six mois).
Attention: Il n’y a pas de liste de métiers mais, lors du renouvellement du titre de séjour salarié, les services de la main-d’œuvre vérifieront strictement le respect de l’autorisation de travail accordée (pas de changement d’employeur sans nouvelle autorisation de travail et maintien des conditions antérieures).
Des cas particuliers de salariés
Si l’étranger ne peut présenter ni contrat de travail, ni promesse d’embauche mais justifie d’une durée de présence significative (sept ans) et d’au moins douze mois d’activité dans les trois dernières années, il peut se voir délivrer un récépissé renouvelable une fois (dit Sacko du nom de l’avis du Conseil d’État) pour rechercher un employeur.
– si au moins cinq années de présence en France et douze mois d’activité d’économie solidaire ( ex: au sein d’Emmaus) ;
– si en intérim, cinq ans de présence et neuf cent dix heures dans l’intérim ou douze Smic mensuels sur les vingt quatre mois précédant le dépôt (ou trois cent dix heures interim et autre activité) ;
– si cumul de contrats de faible durée (ex. des employé(e)s à domicile), même conditions de durée de séjour et d’activité mais maintien de l’exigence d’un Smic.
A remarquer que ces dispositions n’apportent aucune solution pour tous les étrangers qui ont été contraints de travailler sous des alias ou de façon non déclarée, et qui ne pourront présenter de preuves d’activité professionnelle.
Que doivent faire les militant(e)s et les sections de la LDH ?
Les militants de la Ligue des droits de l’Homme ont à faire connaître les critères établis par la circulaire au cours de leurs permanences, veiller à la dignité de l’accueil des demandeurs dans les préfectures ou sous-préfectures, et assurer leur vigilance sur le traitement des dossiers dans un sens favorable à une régularisation large.
Avant toute présentation en préfecture, il convient d’inviter les personnes à vérifier si les conditions d’une régularisation au regard des critères posés sont bien remplies. En dehors des pièces habituelles réclamées sur l’identité, la nationalité, la situation familiale ou les preuves du domicile, les justificatifs de la durée de présence doivent être vérifiées (deux preuves qualifiées de certaines par an sont exigées-voir le texte).
La responsabilité de présenter ou non un dossier, relève de la responsabilité de l’étranger, dès lors qu’il a été informé des risques éventuels, mais aussi des possibilités de construire autour de sa situation une solidarité militante, notamment dans les écoles ou lycées en ce qui concerne les familles et les jeunes majeurs, et d’obtenir le soutien d’un ou des élu(s).
La part laissée à l’appréciation des situations par l’autorité préfectorale restant très importante (malgré les objectifs revendiqués par le ministère), ces éléments risque d’être déterminants dans certains dossiers.
En cas de décision de refus, la circulaire ne peut être directement invoqué devant un tribunal administratif. Un recours pourra toutefois être introduit en se fondant sur des dispositions légales ou sur la violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (article 8 sur l’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale notamment) .
Un combat toujours et encore d’actualité
Les années Sarkozy ont fabriqué des milliers d’étrangers « sans papiers », privés du droit au séjour. Après la victoire électorale de la gauche, sous la pression des luttes de RESF, des collectifs de sans-papiers et des travailleurs sans-papiers avec leurs syndicats et la Plateforme des douze organisations syndicales et associatives, cette circulaire a permis d’obtenir certaines avancées :
– elle s’occupe des « oubliés » : les familles dont un parent ou les deux parents sont sans papiers, les jeunes majeurs arrivés mineurs, les salariés… ;
– elle prend en compte les Algériens et les Tunisiens ;
– elle s’appliquera pendant plusieurs années, donnant un espoir pour demain à certains déboutés d’aujourd’hui…
Néanmoins la circulaire met en place des dispositions qui restent complexes, laisse encore un grande part à l’arbitraire préfectoral, et surtout ne concerneront pas un grand nombre de situations :
– pourquoi renvoyer des parents et des enfants à des années de galère s’ils n’ont pas cinq ans de présence et un enfant à l’école depuis trois ans ?
– pourquoi laisser de côté les jeunes arrivés après 16 ans, en famille avec d’autres que leurs parents ou isolés et non pris en charge par l’ASE avant 16 ans ?
– pourquoi rien n’est prévu pour les travailleurs qui n’auront ni bulletins de salaire, ni contrat de travail ?…
Enfin la publication de ce texte s’accompagne de déclarations ministérielles selon lesquelles le nombre de régularisations ne devrait pas augmenter alors que celui des reconduites à la frontière serait maintenu, voire accru.
Le combat de la Ligue des droits de l’Homme pour la régularisation de toutes et tous, pour un changement de la politique de l’immigration, pour la garantie du respect de tous les droits des migrants par la loi et la réglementation, et pour une réforme du Ceseda, est toujours et encore d’actualité.