Monsieur le Président,
Nous avons appris que la Ligue que vous présidez a lancé une consultation relative à la commercialisation des droits radiophoniques concernant les matchs de football.
Je ne m’attarderai pas sur les considérations juridiques qui font que seule la Fédération Française de Football est détentrice d’éventuels droits en ce domaine. Je ne m’attarderai pas plus sur les arguments du Ministère de la Justice et des Sports qui, à juste titre, considère que la loi n’autorise pas une telle démarche.
Je voudrais plus simplement vous dire que votre tentative de monnayer jusqu’à l’extrême l’activité sportive dont vous avez la charge s’éloigne de toute éthique et constitue une atteinte flagrante au droit à l’information.
Ce dernier ne se résume pas à révéler qui a gagné un match et le score de celui-ci. Il est aussi le droit de pouvoir rendre compte du déroulement des faits et de donner son avis sur l’événement. En tentant d’imposer aux radios de ne pouvoir rendre compte d’un match qu’en payant, vous empêchez, de fait, chacun d’être informé. Entre ce droit d’informer et votre souci d’engranger encore plus d’argent, je ne crois pas qu’il soit possible de balancer.
Le sport, et le football est un sport avant d’être un spectacle, s’inscrit dans une volonté individuelle ou collective d’effort et de dépassement. C’est du moins ceci qui justifie l’exemple que sont les sportifs aux yeux de millions de personnes et en particulier des jeunes. Si les contraintes économiques ou les spécificités propres à cette activité, notamment la brièveté des carrières, impliquent la présence d’un rapport marchand, cela n’implique pas que l’argent devienne l’alpha et l’oméga du sport.
Déjà, la présence dans les stades est payante, les clubs perçoivent des droits, toujours croissants, de retransmission des télévisions, reçoivent des subventions de leurs sponsors privés ou publics et commercialisent leurs produits dérivés. Les joueurs ont d’ailleurs pris les mêmes habitudes, parce que pris dans les mêmes engrenages.
En voulant maintenant commercialiser les droits radio, et peut-être demain les droits pour la presse écrite, c’est encore plus d’argent que vous introduisez dans un secteur qui en reçoit et dépense déjà de manière déraisonnable. Demain, vous serez amené à commercialiser, dans la même logique, les interviews des joueurs ou des entraîneurs , la reproduction de leurs propos dans la presse écrite ou de solliciter le paiement d’une redevance à chaque fois qu’un nom que vous aurez pris le soin de déposer sera prononcé. Et pourquoi pas demain vendre et acheter purement et simplement les hommes qui font ce spectacle devenu une pure affaire commerciale ?
En vous lançant ainsi dans cette recherche effrénée d’argent, vous conduisez tous ceux qui vous regardent et qui se réjouissent devant les exploits des joueurs à ne plus voir qu’un ballon fait de billets de banque et un sport dénué d’autres principes que financiers.
La déclaration des droits de l’Homme de 1789 indique qu’aucune liberté n’est absolue, pas plus la liberté d’entreprendre que toute autre : en revendiquant la liberté de transformer le football en une pure affaire d’argent, vous finirez, un jour, par exclure les spectateurs sous prétexte qu’ils n’ont pas les moyens de regarder, d’écouter ou de lire ce que les médias devront leur facturer. Loin de continuer à faire du football ce dépassement de soi, vous en faîtes une simple affaire commerciale qui justifiera, tôt ou tard, toutes les dérives comme c’est déjà le cas dans d’autres sports. L’exemple que vous donnez ne sera plus, alors, celui de l’effort et de la volonté, mais celui d’un domaine où tout peut s’acheter et se vendre.
Il peut vous paraître surprenant que l’on préfère l’intérêt collectif à des intérêts purement financiers. Je sais aussi que vous serez surpris à la lecture de cette lettre provenant d’une organisation qui s’occupe depuis plus d’un siècle des droits de l’Homme en France. Je voulais simplement vous dire que rien ne peut justifier que vous fassiez d’une activité humaine une marchandise. C’est aussi défendre les droits de l’Homme que de vous rappeler cette évidence.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de mes sentiments distingués.
Michel Tubiana
Paris, le 15 mars 2002