Intervention de Dominique Guibert, secrétaire général de la LDH, le 2 juin 2009, devant le Conseil d’Etat à Paris
La LDH est ici présente avec l’ensemble de ses partenaires engagés dans le combat pour les droits effectifs des étrangers. Nous sommes fiers d’être aux côtés de la Cimade pour la soutenir, dans le cadre d’une démarche non seulement solidaire mais aussi d’action.Je voudrais ici, devant le Conseil d’Etat, insister sur l’importance du jugement rendu par le tribunal administratif (TA) de Paris (qui a décidé, le 30 mai, de faire droit à la requête de la Cimade en suspendant, in extremis, les contrats conclus avec les six associations ayant répondu à l’appel d’offre du ministre de l’Immigration et qui devaient entrer en vigueur le 2 juin). On voit bien, à sa simple lecture, le camouflet reçu par le ministre de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale. La gifle judiciaire est terrible. Derrière la littérature juridique, au-delà de termes quelque peu codés, on peut distinguer quatre éléments politiques d’importance.
Le premier est le rôle des associations, que le ministre a eu tort de minorer au point de prononcer une critique mal venue de leur financement. M. Eric Besson s’est permis non seulement un amalgame entre subventions et délégations de service public, mais il a aussi fait l’impasse sur le rôle d’utilité sociale des associations. Un rôle irremplaçable qui ne peut se concevoir qu’avec une certaine stabilité et une permanence de l’activité. En disant publiquement qu’il était inadmissible de mordre la main qui vous nourrit, le débat ne s’est pas élevé. On peut comprendre que le ministre préfère ceux qui lui mangent dans la main que ceux qui lui mordent les doigts, mais pour notre part, ici présents, nous choisissons les seconds plutôt que les premiers.
Le second est la conception singulièrement réductrice de l’ouverture. Il a été beaucoup question du monopole dont bénéficiait la Cimade. Dans un journal gratuit dont je ne citerais pas le nom, daté d’aujourd’hui, c’est sous le titre « La Cimade partage son monopole » que la question est posée, alors que le jugement du TA n’est même pas mentionné. Qu’est-ce que ce monopole ? Le ministère lui-même ne voulait qu’une seule association agréée dans les CRA… et l’on ferait reproche à la Cimade d’agir ? Mais c’est justement là que gît le détail. Car ce n’est pas tant cette question de l’unicité qui est posée. On aurait pu s’arranger en mettant en avant coordination et actions communes. Mais le ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale ne souhaite pas qu’il puisse y avoir, à partir de constatations empiriques, une critique de sa politique, qu’une généralisation de cas particuliers permette de prononcer une condamnation argumentée des lieux d’enfermement administratif.
Le troisième est l’utilisation en politique du mensonge. Nous savions déjà que la vérité n’était pas sortie de nos discussions à distance, sur un sujet que le ministre aurait voulu controversé… Alors que nous ne voyons que confirmée non pas la possibilité, mais la réalité d’une certaine répression des aidants, des militantes et militants qui apportent quotidiennement leur aide aux migrants en difficulté. C’est bien ce que montre l’étude très documentée faite par le Gisti à ce sujet. Mais au-delà, il n’est pas vrai de dire que le droit est respecté. Il convient dès lors de rappeler que le droit international issu de la DUDH et de bien d’autres textes impose que chaque personne, quelle qu’elle soit, a des droits et qu’elle les possède en propre. Chaque personne détient une parcelle d’humanité que l’on ne peut lui retirer. La conséquence en est que les droits ne sont en aucune façon conditionnels, et qu’à l’illégalité de séjour, ne peut répondre une autre illégalité, dans l’enfermement ou la limitation des droits. Car – et c’est bien là qu’est l’une des questions clés – au regard du droit international, en matière de politique de l’immigration, le gouvernement français ne pouvait que subir la réprimande. Par exemple de la part Comité international des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, lors de l’examen de la France en mai 2008. C’est d’ailleurs ce que le rapport alternatif de la plateforme associative avait démontré devant ce même Comité.
La quatrième est l’absence de crédibilité des décisions prises. En voulant abattre celle de la Cimade, le ministère a recouru à l’habituelle manœuvre qui consiste à diviser pour mieux amener les adversaires à résipiscence. Il a donc ouvert le jeu de la concurrence, dont il pense sans doute qu’elle est le meilleur garant de la liberté pour tous. Le résultat est désastreux. Les premiers concernés, les migrants retenus souffriront des manques et faiblesses qui ne manqueront pas d’exister entre des bénéficiaires aussi différents d’une parcelle du même service public concédé. Mais de plus, en faisant appel unilatéralement à un regroupement non identifiable du point de vue associatif, même s’il est parfaitement identifié au niveau politique, le ministère a ridiculisé son propre exercice du pouvoir.
Aujourd’hui, en matière d’aide aux personnes retenues dans les CRA, l’action du gouvernement a produit la création de trois types de ce que j’appellerais des « ONC ». La première est une organisation non crédible. La deuxième est une organisation non critique. La troisième est une organisation non conforme. Cette dernière est celle que je citerais. C’est la Cimade, et c’est à côtés que nous sommes pour les combats communs.
Paris, le 2 juin 2009