François Hollande, pendant la campagne présidentielle, avait publié dans Le Monde une tribune où il annonçait son intention de mettre le dialogue social dans la constitution et de faire en sorte qu’en matière sociale les accords puissent se substituer à la loi et être d’application directe dés lors que les règles de validité seraient claires. Et dès les premiers jours, le gouvernement a voulu afficher comme principe directeur de son action en matière sociale la promotion du dialogue. L’intitulé du ministère de Michel Sapin (Travail, Formation professionnelle et Dialogue social) en atteste, tout comme la grande conférence sociale organisée au printemps dernier, dans les locaux du CESE, en présence du président de la République. Il y a une sorte de consensus : tout le monde ou presque se réclame du dialogue social.
On ne peut que s’en réjouir, pour plusieurs raisons : d’abord, parce qu’un bon dialogue social qui permette de trouver un équilibre entre des intérêts différents, parfois divergents, est un gage d’efficacité pour peu qu’il ne repose pas sur un marché de dupes ou une manœuvre; ensuite parce que la démocratie sociale est un élément constitutif de la démocratie tout court et que le dialogue social participe de cette démocratie. D’une certaine manière, c’est un mode de régulation qui rompt avec une certaine conception autoritarisme de la gestion sociale en se donnant comme objectif de prendre en compte ce que les intéressés ont à dire, et en cherchant à construire des solutions acceptables pour tous.
Pour cela, il faut que les interlocuteurs soient légitimes et représentent bien ceux qu’ils prétendent représenter. Or, en la matière, une évolution importante est en marche qui est censée aboutir sous peu.
C’est une des conséquences majeures de la modification des règles de représentativité introduites en 2008, par la loi du 20 août pour les salariés du privé et, en 2010, pour les agents publics.
A partir de 2013, la représentativité au plan interprofessionnel sera mesurée et non plus octroyée, a priori, comme cela était le cas depuis 1966, où cinq confédérations (CGT, CFDT, CGT-FO, CFTC, CFE-CGC) avaient bénéficié d’une « présomption irréfragable » de représentativité, une disposition qui les protégeait de l’arbitraire patronal, mais en même temps leur conférait une forme de monopole en empêchant ou entravant la possibilité d’organisations apparues plus tardivement de s’implanter et de participer aux négociations. Désormais, ce seront les salariés qui, par leurs votes, décideront de qui les représentera et négociera en leur nom : « l’audience » va devenir un critère déterminant, et la loi fixe aux divers niveaux les seuils permettant de s’asseoir à la table des négociations. Ces nouvelles dispositions sont déjà entrées en vigueur au niveau des entreprises, avec des conséquences visibles sur le paysage syndical.
Et la validité des accords ne sera désormais plus subordonnée à la signature d’au moins une organisation présumée représentative. Elle dépendra de la signature d’organisations représentant au moins 30 % et de l’absence d’opposition majoritaire (dans la fonction publique, à partir de 2013, les signatures devront représenter la majorité des salariés concernés).
Chacun comprendra que les négociations sont désormais susceptibles de prendre une dimension nouvelle et les accords d’acquérir un poids nouveau. Cette situation rendra plus difficile les jeux de dupes et les postures et chacun sera plus fortement poussé à prendre ses responsabilités. Elle peut redonner confiance dans le mouvement syndical en faisant reculer l’impression d’extériorité que la situation actuelle peut générer.
Mais un certain nombre de problèmes subsistent et non des moindres.
Rappelons d’abord que les nouvelles règles de représentativité ne concernent pas les organisations d’employeurs pour qui rien ne change : ainsi les employeurs de l’économie sociale, par exemple, continuent de ne pas se voir reconnaître une représentation spécifique.
Deuxième problème : le dialogue social n’est pas indépendant du rapport de forces et si les nouvelles règles peuvent donner un peu plus de force aux organisations syndicales, l’absence de législation, leur conférant une réelle possibilité d’intervention sur les choix stratégiques des entreprises, continue de faire pencher la balance du mauvais côté. Et la crise sert d’argument pour une offensive d’une rare intensité contre tout ce qui est garanties collectives et droits des salariés : l’actuelle négociation sur le contrat de travail en est un exemple flagrant où le patronat cherche, par tous les moyens, à imposer unilatéralement des régressions en matière de conditions d’emploi. Le gouvernement lui-même vient au nom de la crise de prendre des mesures rejetées par la plupart des organisations représentatives.
Bref, il ne suffit pas de proclamer le dialogue social, ni même d’en renouveler les règles, pour améliorer la situation des salariés.
Enfin, il faut rappeler que l’on ne peut pas tout renvoyer au dialogue social, fût-il rénové. La loi a un rôle à jouer pour fixer limites et garde-fous et protéger les salariés dans un contexte où le rapport de forces est loin de leur être toujours favorable. Si le dialogue social est un facteur de démocratie et d’efficacité, pour autant l’ordre public social ne peut pas dépendre uniquement des « partenaires sociaux », et du rapport de forces entre salariés et employeurs à un moment donné. Il y a là une responsabilité spécifique que l’Etat, garant de la cohésion sociale, doit assumer par la loi.
Autant de raisons pour que la LDH soit attentive à cette problématique.