Communiqué AEDH
L’AEDH ne peut que regretter le vote par le Parlement européen, le 5 février, de la directive « établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi saisonnier ».De l’ensemble des quatre textes formant le volet « immigration du travail » du Programme de la Haye, la directive concernant les travailleurs saisonniers est la moins protectrice des droits des salariés et, en dépit de quelques garanties limitées, l’AEDH estime qu’elle ne mettra pas fin à l’exploitation des personnes concernées. On peut même redouter que l’encadrement très étroit de l’accès aux emplois saisonniers et leur caractère inadapté à cette activité spécifique ne conduisent, de fait, à une augmentation du travail clandestin.
Le Programme de La Haye s’est en effet attaché à segmenter les droits des travailleurs migrants au prorata de leurs qualifications, les considérant comme simple variable d’ajustement des « besoins économiques » de l’U.E, loin de l’esprit de Tampere et d’une vision inclusive de l’immigration. Dans ce contexte, les travailleurs saisonniers sont traités comme une sous-catégorie de la main-d’œuvre utile et ont été exclus du champ d’application de la « directive permis unique » qui était censée garantir des règles et droits communs à l’ensemble des ressortissants des pays tiers occupant un emploi et ne bénéficiant pas du statut de résident de longue durée.
La directive adoptée reste floue sur de nombreux aspects et très contraignante en termes de résidence et de contrat.
Il en est ainsi de la définition de l’employé saisonnier : « ressortissant d’un pays tiers qui conserve son lieu de résidence principal dans un pays tiers et séjourne légalement et temporairement sur le territoire d’un État membre aux fins d’un emploi pour exercer une activité soumise au rythme des saisons, sur la base d’un ou de plusieurs contrats de travail à durée déterminée, conclu(s) directement entre le ressortissant de pays tiers et l’employeur établi dans ledit État membre ».
Les saisonniers doivent donc, préalablement à tout séjour, disposer d’un contrat avec un employeur ; dans la majorité des cas le rôle des intermédiaires sera donc déterminant pour l’établissement de ce contrat. Ces derniers verront ainsi leur pouvoir s’accroître alors qu’ils sont déjà aujourd’hui à l’origine d’un trafic de main d’œuvre ; et ce pouvoir ne pourra que s’amplifier, sans pour autant comporter de risque de sanctions, contrairement aux employeurs. Pour nombre de travailleurs saisonniers, l’alternative sera de venir clandestinement, ou, après un premier emploi saisonnier régulier, de ne pas rentrer dans leur pays d’origine contrairement aux obligations de la directive. Dans les deux cas, s’ils sont découverts, ces travailleurs courent le risque d’être expulsés et de ne plus pouvoir obtenir titre de séjour et emploi régulier dans les pays de l’Union et seront donc condamnés à la clandestinité et à la précarité.
La précarité caractérise aussi le séjour régulier puisque les États ne sont pas tenus de contraindre les employeurs à payer les frais de voyage et d’assurance maladie, ni de verser des prestations familiales et de chômage.
L’AEDH veut souligner que la directive adoptée par le Parlement ne garantit pas :
– l’égalité de traitement entre travailleurs sur leur lieu de travail ;
– des normes de droit identiques à celles qui sont appliquées aux travailleurs saisonniers européens ;
– une protection des droits économiques et sociaux conforme aux standards des pays de l’UE et, ad-minima, de la « Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille » aussi bien que de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ;
– l’accès au statut de résident de longue durée ou à un statut en droit comparable, après plusieurs années consécutives de travail saisonnier.
De manière générale c’est l’architecture juridique même créée par le « Programme d’action relatif à l’immigration légale », dont la directive emploi saisonnier n’est qu’une partie, qui conduit à un traitement discriminatoire entre les différentes catégories de travailleurs migrants et à une protection et des droits limités pour les saisonniers issus des pays tiers.
Le risque est grand que cette directive ne conduise donc à plus de précarité, de clandestinité et d’exploitation des travailleurs migrants concernés, loin des bonnes intentions proclamées. C’est pourquoi l’AEDH défend l’objectif d’un statut global de l’immigration du travail, fondé sur l’égalité des droits quelle que soit la nationalité; ce serait la meilleure garantie donnée aux travailleurs saisonniers.
L’AEDH appelle les institutions de l’Union européenne à rompre avec une logique utilitariste de l’immigration du travail, à considérer les travailleurs migrants comme ce qu’ils sont : des êtres humains. Ceci en conformité avec l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux qui proclame que « toutes les personnes sont égales en droit » et en application des lignes directrices fixée par la Commission dans le cadre du Programme de Stockholm selon lesquelles « l’UE doit s’efforcer d’atteindre un niveau uniforme de droits et d’obligations pour les immigrants légaux, comparable à celui dont jouissent les citoyens européens ».
Bruxelles, le 6 février 2014