Dialogue entre Gilles Perret, réalisateur du film et Pierre Tartakowsky, président de la LDH, autour des « Jours heureux » film soutenu par la LDH.Gilles Perret : L’histoire du Conseil national de la Résistance (CNR) et de son programme est malheureusement fort méconnue et nous avons voulu y remédier. Lors des débats autour de mon film précédent Walter, retour en résistance, j’avais pu mesurer le degré d’ignorance autour de ce thème, des origines de la Sécu, des comités d’entreprise, de la liberté de la presse… Il y avait là une injustice à réparer et un savoir historique à transmettre ou disons, à remettre en débat. Le film veut donc revenir sur la genèse du CNR , son rôle, son devenir au fil du temps. Alors, film historique ou actuel ? Disons qu’il parle d’histoire pour la mettre en questionnement et ce faisant, parler de demain, sachant que ce programme qui s’appuie sur des valeurs intemporelles résonne dans la société d’aujourd’hui.
Pierre Tartakowsky : La LDH soutient Les jours heureux comme elle avait soutenu Walter retour en résistance ; ces deux films appartiennent à une espèce trop rare, celle qui permet une réflexion historique et un débat sur les enjeux de politique contemporaine. Les jours heureux, à travers des témoignages, permet de se réapproprier la réalité des combats qui aboutiront au CNR et à la Libération ; une seconde partie, plus discutable – dans tous les sens du terme – est contemporaine et semble impliquer qu’il faudrait aujourd’hui faire comme hier, appliquer un modèle terme à terme. Or, s’il est vrai que les valeurs en cause – solidarité, liberté – sont intemporelles, le contexte politique – mondial et national – est lui, radicalement différent. La construction d’un destin commun se pose donc dans des termes eux-mêmes radicalement différents. Ici, on peut interroger la validité de la nostalgie implicite portée par le film.
Gilles Perret : Je suis à la fois d’accord et pas d’accord. De fait le contexte n’a rien à voir, ni au plan économique, ni au plan du rapport des forces ; en revanche, les valeurs sont toujours effectives ; elles peuvent servir et ouvrir l’avenir. Elles soulignent la place de l’Etat dans l’économie, la place du peuple et comment il peut être décisionnaire. Cela dessine un Etat social, soucieux de nationaliser les biens communs dans le secteur énergétique et bancaire. Cela peut intéresser la société d’aujourd’hui ; le « vivre ensemble » dont on nous parle, cela a un rapport avec la sécurité sociale, il y a un choc des logiques d’alors et d’aujourd’hui. Certes, le contexte politique et économique a changé mais les valeurs de la République demeurent, comme demeure l’objectif de les rendre effectives. Et cela, ça s’organise à travers un pouvoir politique fort. Tout le contraire d’une politique qui le cède devant les intérêts privés.
Pierre Tartakowsky : Sur la mise en œuvre de l’effectivité des droits, sur les valeurs, nous sommes évidemment d’accord. Encore qu’il serait naïf de ramener la construction du CNR à des valeurs ; il y a débats et rapport de forces, y compris militaires. A la fin, il y a un compromis, très positif, avec des points aveugles comme la question coloniale. Attention au risque de confusion entre les valeurs et les outils ; les premières ne répondent pas des secondes. Historiquement, elles vont effectivement être mises en œuvre par un pouvoir politique fort qui ne sera pas celui du « peuple » ; le compromis gaullistes communistes le cède vite au pouvoir gaulliste, dont l’obsession est de moderniser le pays, plus pour des raisons de grandeur que de solidarité ou de liberté. Les trente Glorieuses vont construire un certain niveau de développement mais aussi une société qui étouffe. D’où 1968. Invoquer un pouvoir fort s’entend s’il s’agit d’être fort face aux marchés, d’accord. Mais ce pouvoir fort peut se contenter d’être… fort.
Gilles Perret : Il ne s’agit évidemment pas de mythifier l’histoire ; simplement de l’évoquer pour permettre aux citoyens de définir un bien commun, un intérêt général et les façons de le construire de la façon la plus juste possible.
Pierre Tartakowsky : Cette construction est au cœur de la deuxième partie du film, qui donne la parole à toute une série d’hommes politiques, y compris des représentants tels que MM. Guéna ou Dupont Aignan, peu identifiés pour le spectateur, mais qui incarnent des visions strictement nationales, voire nationalistes. Par un effet d’amalgame mécanique, on reçoit donc leurs propos comme s’intégrant à un champ de forces politiques qui seraient d’accord entre elles, à l’image de ce qui s’est passé au moment du CNR. Or, cette vision est fausse et il est regrettable que le film ne s’en démarque pas nettement ou ne le dise pas. Il en ressort une ambiguïté entre justement les affichages et les valeurs. L’idée que la France, du seul fait de sa grandeur supposée, pourrait trouver des solutions à la crise en se redéfinissant par ses frontières n’a rien de réaliste et encore moins de progressiste.
Gilles Perret : Chacun voit le film à sa manière et c’est la matière du débat. Le film donne la parole à Bayrou, Mélenchon, Copé, car chacun d’entre eux avait mentionné le programme du CNR dans leur campagne électorale. Mais on entend surtout Aubrac, Cordier, Hessel… Dupont Aignan et Guéna n’y interviennent que de façon marginale. L’idée est d’interroger leur propos : vous vous présentez comme des héritiers du CNR, descendants des pères fondateurs, en quoi estimez-vous être légitime à cet égard. Et il me semble que le montage donne à voir l’escroquerie politique qui est là derrière ; voir un néolibéral comme Jean François Copé se réclamer du CNR voilà bien une contradiction qui mérite d’être éclairée ; voir Bayrou se mettre à bafouiller lorsqu’on l’interroge sur les contradictions entre son programme et celui du CNR est tout autant pédagogique.
Pierre Tartakowsky : je ne plaide pas pour la censure et j’avoue avoir bien ri devant les agacements de Bayrou. Je suis plus gêné devant les prestations de MM. Guéna et Dupont Aignan, moins connus…
Gilles Perret : Au-delà des ambiguïtés de Dupont Aignan qui l’amènent parfois à ne pas être loin du FN, on peut le créditer d’une vraie connaissance du CNR et qui incarne ce qu’a été le gaullisme historique, celui d’une « certaine vision de la France ». Voilà quelqu’un qui se présente comme plus à gauche que les socialistes sur l’encadrement de l’économie, sur le rôle de l’état et plus à droite que l’UMP sur les questions de l’immigration, de la sécurité. Il intervient à deux reprises pour dire que l’enjeu central aujourd’hui est de redonner des marges au politique. Ça, je crois qu’on peut l’entendre
Pierre Tartakowsky : Mais on l’a déjà entendu ; c’est sur cette démarche que Nicolas Sarkozy a gagné sa campagne présidentielle. Le propos résume parfaitement la perspective de la construction d’un pouvoir politique fort mais ni très démocratique, ni très solidaire, ni très fraternel. Il faut évidemment faire confiance aux spectateurs ; mais il est dommage que le débat que des hommes de droite introduisent ne soit pas présenté et conduit comme tel, au-delà des hommages – fussent-ils sincères – que tel ou tel responsables politiques rendent au CNR.
J’ai une dernière question : vous avez obtenu la participation de François Hollande, après son élection à la présidence de la République, ce qui n’est pas rien. Malheureusement, il ne dit quasiment rien, (si ce n’est des banalités) et le montage le souligne en gardant les images de l’immédiat après fin de l’entretien proprement dit, ce qui contribue à banaliser son intervention, son statut présidentiel et fait rire la salle. Il est le seul à avoir droit à ce traitement très banalisant. Est-ce calculé ?
Gilles Perret : j’ai ri aussi. Ca ne dure pas très longtemps et ça fait choc, c’est vrai. Mais le sentiment que j’ai eu durant cet entretient c’est que j’avais affaire à quelqu’un de sympathique, sans comparaison avec son prédécesseur ; sa « sortie de cadre » l’humanise et je voulais mettre cette dimension en regard de son niveau d’impuissance assumé. Je m’attendais a un autre discours d’un président de la République et cela nous a laissé, l’équipe et moi, dépités, frustrés. Si lui ne peut rien… J’ai voulu montrer qu’être sympathique ne suffirait pas à nous sortir du marasme. Le propos n’était pas de dévaloriser qui que ce soit ; mais d’utiliser le rire pour dire le grave.