Hamida Ben Sadia est décédée le 29 octobre. Membre du comité central de la LDH depuis 2007 et du bureau national depuis le congrès de juin dernier, elle a succombé des suites d’un cancer d’une grande brutalité et d’une rapidité effrayante. Elle avait 48 ans…Malgré l’envie qu’elle en avait, malgré la volonté qu’elle montrait lors des dernières occasions de la rencontrer où c’est encore elle qui nous exhortait à l’action, elle n’a pas mené au bout ce dernier combat. Mais, de cette femme dont rien ni personne n’avait pu venir à bout, nous retiendrons que seule une bien cruelle maladie a pu le faire. Hamida, la tendre, la flamboyante, la généreuse, la belle, la fonceuse nous a quitté. Hamida humaine, tellement humaine qu’elle en est morte.
Le vide est immense, et l’effroi pour tout dire gagne. Nous n’avions aucune raison de nous préparer. En quelques mois, nous, militants de la Ligue avons perdu avec Saïd Bouziri et Hamida Ben Sadia deux de nos authentiques combattants, deux de ces personnes dont on se complaît à dire qu’un jour au moins on a partagé les mêmes combats. Qui parmi nous n’a pas vécu un jour le regard noir de rage de Saïd et la colère inextinguible d’Hamida devant une injustice du monde, proche, si proche que ni l’un ni l’autre ne pouvaient imaginer que l’on puisse envisager ne serait-ce qu’un instant de ne pas continuer à combattre ?
Si la plénitude d’une vie se mesure à la douleur que laisse la mort, le souvenir d’Hamida n’est pas prêt de s’éteindre. Il nous reste la mémoire de ce qu’elle était et de ce qu’elle a fait. Et son livre, « Itinéraire d’une femme française », un livre rare, un livre unique, celui que seule une Hamida pouvait écrire.
« Je sais que la vie, le parcours de mon père et de ma mère expliquent pour une bonne part mes engagements. J’ai certainement choisi, à travers mes combats, de leur rendre hommage. Hommage à leur condition. De leur rendre justice. Ils n’étaient pas que des immigrés mais des êtres doués d’intelligence et de conscience. Ils m’ont transmis leur rage de vivre, leur goût de la conquête. Ils m’ont fait cadeau de leur amour, ont maladroitement cherché à me rendre heureuse en me mariant. Leurs conditions de vie, la misère sociale, l’exil ne sont pas étrangers aux raisons qui ont conduit à ce choix.
Alors plus encore qu’hier, pour éviter ces drames et d’autres injustices, je veux me donner les moyens de comprendre. Comprendre le monde qui m’entoure, comprendre pour mieux déconstruire les ressorts de la domination ou, plutôt, des dominations. Chercher la signification des actes, des attitudes, y compris – et surtout – de ceux qui nous semblent à première vue les plus éloignés de nos habitudes.
C’est cette démarche qui m’a permis d’affronter l’adversité. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que seule ma faculté de penser me protège contre les tourments de la vie. Elle me préserve de la fuite en avant dans laquelle je pourrais, comme d’autres, m’engouffrer pour ne pas voir la réalité en face. […]
J’ai été profondément heureuse d’être élue au comité central de la Ligue des droits de l’Homme, en mars 2007, car, au fond, cela correspond bien à mes besoins de réflexion actuels. « Le droit, que le droit, rien que le droit » est la devise avec laquelle ses militants répondent aux défis du moment, parfois au détriment de leur image dans l’opinion publique mais au bénéfice de la dignité humaine.
La lutte continue dans chacun des actes de ma vie. Je ne suis pas infaillible, et je ne crois pas à la chance. Je suis seulement lucide, je sais d’où je viens. Je sais aussi que mon corps ne suit pas toujours mon énergie, parfois il me lâche. La maladie m’a suffisamment visitée pour savoir combien elle nous rend fragiles et dépendants des autres. L’idée de la mort ne m’est pas étrangère, indissociable de la vie, elle ne me fait pas peur »
Vous pouvez lire « Itinéraire d’une femme française », le livre d’Hamida, paru chez Bourin Editeur Cliquez ici