La LDH participait à l’hommage aux « Oubliés de la République » le 8 mai 2009 pour exiger la fin de la cristallisation des pensions des anciens combattants des ex colonies.
Intervention de Dominique Guibert, secrétaire général adjoint de la LDH, Parvis des droits de l’Homme, ParisIls venaient de Dakar, d’Abidjan ou de Conakry. Mais parce que leur premier régiment fut formé au Sénégal, on les appelait les « Sénégalais ». Ils arrivaient de l’Annam ou du Tonkin. Ou bien ils furent enrôlés au Maroc, en Algérie, en Tunisie. Leur choix d’engagement s’était fait sous la contrainte coloniale. Ils servaient la République, mais n’en étaient pas citoyens. On leur demandait leur sang, mais pas leur vote. Sujets coloniaux, ils n’accédaient pas au titre de soldat. Ils étaient les tirailleurs, dans des régiments particuliers. Egaux, ils le furent dans la mort, mais ils ne l’étaient pas en droit.
Je voudrais développer cinq étapes historiques qui n’auraient pas dû se terminer par la construction d’une discrimination.
Première étape. La fin du XIXe siècle est celle de l’extension de l’empire colonial. Le futur général Mangin établit une stratégie d’engagement de troupes indigènes, au motif d’éviter la mort de trop de soldats blancs. Un homme politique, Jules Ferry, président du Conseil des ministres, justifie en 1885 les conquêtes par les bienfaits que peuvent apporter les races supérieures aux races inférieures et donc la mise sous tutelle directe de ces pays. La rencontre entre les deux amène la création de « la force noire », c’est-à-dire l’utilisation de troupes indigènes pour la conquête et pour le contrôle postérieur des territoires. Ces tirailleurs furent donc de toutes les colonnes qui parcouraient les chemins d’Afrique et d’Asie. Ce fut violent, quelquefois atroce, comme le montrent les exactions commises par la colonne Voulet-Chanoine.
Deuxième étape. La guerre de 1914-1918 est dévoreuse d’hommes. Engagée dans des combats de ligne qui engloutissent des régiments entiers dans le sang, la boue et l’horreur, la France utilise en première ligne des troupes issues de l’empire colonial, qui subissent ainsi le feu aussi durement que leurs camarades des autres régiments. Quelquefois plus, car si les généraux faisaient peu de cas du sort de leurs propres hommes, il n’y avait pas de raison qu’ils en fassent plus avec ceux qui n’étaient même pas des soldats à part entière. Et pourtant, ils défendaient la France. Et s’ils furent honorés et décorés, comme le montrent nombre d’affiches de propagande de l’exposition coloniale de 1931, ils ne furent jamais élevés à la dignité de citoyen d’un pays qu’ils venaient de défendre les armes à la main.
Troisième étape. Fin 1918, le nord de la France est un champ de ruines et de destructions. Les pertes humaines sont gigantesques. Il n’y a pas un village, pas une ville en France, en Afrique ou en Asie qui ne compte ses morts et ses disparus. Après le Traité de Versailles, la France, pour garantir les réparations promises, occupe la Ruhr et envoie des régiments de tirailleurs « sénégalais » pour ce faire. La propagande allemande les stigmatise au nom de la pureté de la race soumise aux prétendues exactions de ceux que, par dérision, ils appelèrent « la honte noire ». Et en 1940, les troupes nazies victorieuses ne se retiendront pas pour arrêter, torturer et exécuter les tirailleurs qui s’étaient battus durement dans les combats de 1940. Jean Moulin racontera l’ampleur de ces exécutions dont il fut l’un des témoins impuissants.
Quatrième étape. Avec l’armistice signé par Pétain en 1940, il n’existe plus de troupes combattantes sur le territoire métropolitain. Les seules qui subsistent sous commandement français sont toutes en Afrique. C’est sur cette base que la France libre se construit, dans ces pays peu contrôlés par les Allemands, mais encore gouvernés par Vichy. Les premières victoires des Français libres sont africaines. La défaite de l’Afrika Korps, la réussite des alliés amènent des défections de plus en plus nombreuses parmi la hiérarchie militaire restée jusqu’alors très maréchaliste. Et à partir de 1943, c’est parmi les Africains que sont recrutés les troupes qui partent à l’assaut de la forteresse nazie. On leur a parlé de citoyenneté, d’amélioration de la vie, de lutte contre le racisme, voire même d’autonomie, de fin de la domination coloniale, même si ce n’est pas encore d’indépendance. Dès la bataille d’Italie, ce sont ces régiments de tirailleurs qui, au nom de la France, prennent le choc de batailles frontales et meurtrières.
Dernière étape enfin, à partir de la Libération et de la capitulation nazie, les gouvernements successifs de la IVème et de la Vème République ont remisé les promesses d’évolution de l’empire colonial, de ses statuts, de réparation de ses injustices. La réforme centrale qui eut été celle de la citoyenneté générale n’est pas posée et l’accès à l’indépendance est considéré comme une atteinte à l’intégrité nationale. Incapable de penser cette période qui s’ouvre, les gouvernements ne savent qu’opposer la répression et la guerre aux demandes légitimes en particulier de ceux qui ont porté les armes contre le nazisme. A Sétif en 1945, à Madagascar en 1947, en Indochine puis en Algérie, de révoltes en guerres d’indépendance, tous ces hommes à qui on a tant promis se saisissent de ces mots pour en faire des armes. Incapable de prendre le tournant, la France répond par le maintien des injustices coloniales. Les promesses faites se révèlent des impostures et peu de choses changent.
La preuve manifeste en est ce texte réglementaire de 1959, dont nous commémorons aujourd’hui la sinistre existence. Il aura suffit d’un changement de dénomination, qui transforme un titre de pension en une simple indemnité pour officialiser une discrimination. A la seule mention de leur lieu de naissance, au mépris de la règle citoyenne qui veut que quelqu’un qui a risqué sa peau dans les armées de la Nation a droit à son égale reconnaissance, les combattants des anciennes colonies ne bénéficient pas d’une égalité de traitement que le préambule de la Constitution, comme la Déclaration universelle de droits de l’Homme considèrent comme le fondement de la vie sociale. Je voudrais donner un éclairage peu glorieux de ce qu’est cette discrimination. Alors que le temps d’engagement obligatoire dans les chantiers de jeunesse de Vichy est assimilé à un service militaire et peut donner lieu à pension et validation, le texte de 1959 supprime cette possibilité aux anciens soldats coloniaux. Deux poids, deux mesures, il y a bien eu construction réglementaire d’une discrimination.
Pour la LDH, cette cérémonie du 8 mai a donc un double objectif. D’abord rendre justice à des personnes manifestement inégalement traitées en fonction de leur origine. Mais aussi montrer l’importance qu’il y a à regarder en face notre histoire sans la parer de l’hagiographie du temps béni des colonies, dont nous voulons montrer qu’il est bien fini.
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Intervention DG 8 mai