En ces temps proches de commémorations sur les guerres et de débats sur le rôle de l’histoire pour le temps présent, ce film est passionnant à voir. La réalisatrice, chilienne réfugiée avec sa famille à Cuba, vivant depuis lors en France, avait 4 ans le 11 septembre 1973. Elle retourne au Chili pour faire parler certains de ceux qui ont vécu les mille jours du gouvernement d’Unité populaire de Salvador Allende et pour écrire une histoire que les jeunes ignorent, parce que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Au moment où le Chili a pour président Sebastian Piñera, milliardaire à la Berlusconi incarnant le néo-libéralisme financier, la société du spectacle et la « modernité ».
Le film est scandé par les magnifiques discours d’Allende : au moment de son élection, et ses dernières paroles alors qu’il sait qu’il va mourir, juste avant le bombardement du palais présidentiel de la Moneda. Et centré sur les funérailles du chanteur Victor Jara, en décembre 2009 : arrêté et torturé – les doigts brisés – au Stade national, puis assassiné de quarante-quatre balles, ses restes exhumés sur l’ordre d’un juge, enfin porté par une foule immense qui lui fait une garde d’honneur, dans un océan d’œillets rouges, pendant trois jours.
On ne reprendra pas le récit des événements par les différents protagonistes, hommes et femmes. Mais ce qui en résulte est impressionnant : une période, une société où le pouvoir était puissant et efficace – nationalisation du cuivre et des grandes banques, réforme agraire et fin des latifundia, immense programme de construction de logements et de travaux publics, école et université pour tous – et où tous voulaient participer à la construction de leur pays, parce que pour la première fois le peuple se sentait digne : on ne lui donnait pas des choses, il prenait ses droits. Ces acteurs en ont gardé la fierté d’un travail vite et bien fait, et tous parlent d’« allegria », de trois années de bonheur autour d’un président formidablement rassembleur. Et dans un climat de libertés publiques, avec la presse de droite très active pour insulter Allende. Ce fut, chose rare, « une révolution en liberté ».
Or elle devait s’effondrer, minée par le sabotage organisé et par les interventions de la CIA qui ne voulait à aucun prix d’un second Cuba. Ce fut la tragédie de la Moneda, l’arrivée du croque-mort Pinochet et de ses militaires fascistes, auteurs d’une répression sanglante et d’un régime de terreur, détruisant systématiquement l’œuvre du régime de Salvador Allende.
Ce que ce film demande, comme ceux qui accompagnent le cercueil de Victor Jara, c’est vérité et justice.
Les Enfants des mille jours
Film documentaire, 2013
urée : 90’
Réalisation : Claudia Soto Mansilla et Jaco Bidermann
Production et distribution : Iskra
Site : www.millejours.net
Il faut ajouter qu’il est accompagné d’un documentaire plus bref, tourné dans les jours qui ont suivi le coup d’Etat, avec des témoignages sur la répression et les milliers de morts qui s’ensuivirent, ainsi que des images de la Moneda détruite, de Santiago infesté de chars et de troupes. Et même des prisonniers sur les tribunes du stade national, en version édulcorée pour les journalistes auxquels on ne montra ni les vestiaires transformés en cachots, ni la réalité des crimes qui se tramaient toutes les nuits. Là aussi, des femmes racontent ce qu’avaient été pour elles ces années Allende où, pour la première fois, elles avaient été traitées comme des êtres humains, elles étaient entrées à l’université et s’étaient engagées dans la vie politique de leur pays. Mais les pobladores se sentaient si forts qu’ils croyaient n’avoir pas besoin d’armes.
Septembre chilien
Film documentaire, 2013
Tourné en 2011
Durée : 39’
Réalisation : Bruno Muel, Théo Robichet et Valérie Mayoux
Production : Bruno Muel Productions
Distribution : Iskra
Site : www.septembrechilien.net