L’intérêt de ce film est de traiter de l’immigration vue du côté des pays des migrants, en l’occurrence, principalement, le Mali. Mory Coulibaly a vécu l’expulsion du squat de Cachan. Il avait acheté une caméra pour sa fille et a pu filmer l’opération. En 2010, il entame une tournée au Mali, à Bamako et dans des villages de la brousse, avec le Cinéma numérique ambulant. Les spectateurs sont interviewés, ainsi que d’anciens émigrés rentrés – de force – au pays.Le procès est fait de ces Français qui n’appliquent qu’à eux-mêmes leurs grands principes, en commençant par l’égalité ; qui dénient aux migrants le droit universel à la libre circulation ; qui traitent sans respect ceux-là mêmes qui les reçoivent avec respect en Afrique, continent dont les Blancs ont par ailleurs pillé sans vergogne les richesses.
Mais un autre procès est fait aux autorités maliennes qui accordent des laissez-passer aux expulsés et ne leur viennent aucunement en aide, même s’ils sont seuls et sans ressources en débarquant dans un pays qu’ils ont quitté depuis parfois vingt ans. L’association malienne des expulsés tente de pallier cette absence.
Au-delà des responsabilités politiques, il y a surtout l’incompréhension et la honte. Les familles restées au Mali ne veulent pas les croire quand ils disent qu’en France ils n’ont pas de travail et parfois pas de quoi manger ; ils ne peuvent pas rentrer les mains vides ; beaucoup cachent la vérité et ne disent pas qu’ils ont été expulsés ; après le traumatisme subi, certains tombent malades, d’autres sont incapables de se réintégrer, beaucoup sont rejetés. En leur absence, les femmes seules ont parfois été contraintes, par les pères ou les frères de leurs maris, d’avoir d’autres enfants.
Mory veut informer les jeunes qui croient encore à l’Eldorado. Et chercher avec les autres des solutions : s’unir en Afrique pour combattre l’inertie des autorités, pour lutter contre la pauvreté, pour développer l’éducation, pour créer des coopératives agricoles aux méthodes moins archaïques. S’unir en France pour créer des associations de villages et leur envoyer de l’argent.
Il faut, dit-il avec un vieux chef de village, que les jeunes restent et construisent le Mali, avec des barrages et des usines. Et pour commencer il faut les informer des réalités de l’émigration, qu’ils ignorent totalement.
Le film mêle les images de Cachan, en noir et blanc et floutées comme une obsession, à une sorte de road-movie sur les pistes poussiéreuses. Bonne idée, peut-être excessivement exploitée, et le film aurait gagné à être resserré. Mais il montre bien la révolte d’êtres humains pris au piège de la misère et de l’incurie politique, et qui ne veulent plus perdre leur dignité pour de l’argent.
Sou Hami, la crainte de la nuit
Film documentaire, France, Mali, 2010
Durée : 98’
Réalisation : Anne-Laure de Franssu
Production : Corto Pacific – Pays des miroirs productions – II mots en images