Sortie le 30 janvier 2013
Avec le soutien de la Région Ile-de-France, la Région Provence-Alpes-Côte-D’azur, le Fonds images de la diversité – l’Acsé/CNC et la participation du Centre National du Cinéma et de l’image animée.
Le plus jeune a 89 ans, le plus âgé a 101 ans, ils ont des visages burinés mais l’esprit vif, et surtout une dignité sans faille. Ils sont une vingtaine de nonagénaires que Lam Lê a retrouvé, au Viet Nam et en France, parmi les quelques 20 000 Vietnamiens qui, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, furent recrutés de force dans l’Indochine française pour venir remplacer dans les usines d’armement les ouvriers français mobilisés. Enrôlés de force, pour beaucoup ne sachant pas lire, ils ne se doutaient pas de ce qui les attendait.Au soir de leur vie (cinq d’entre eux sont décédés pendant le montage du film) ces hommes racontent avec dignité, avec humour parfois, apparemment sans ressentiment, comment la France a fait d’eux des proscrits. Comment chaque famille ayant trois fils était tenue d’en donner un à la « mère-patrie », comment ces Công Binh (ouvrier-soldat en vietnamien) furent convoyés vers la France en cargo où ils étaient entassés dans la cale, comme des bêtes. « Enfin, pire que les bêtes. Les vaches, elles étaient au-dessus de nous, sur le pont » précise l’un d’eux. Arrivés dans une France glacée, ballotés de la poudrerie de Bourges aux aciéries du Nord ils découvrent le dur travail dans les usines françaises. Après la débâcle, la France ne se préoccupe pas de les rapatrier, ils sont alors livrés comme main-d’œuvre quasi gratuite à la main d’œuvre indigène (MOI) qui les loue comme « ouvrier non spécialisé » à des entreprises à des prix dérisoires. C’est ainsi qu’ils ont travaillé pieds nus dans les salines, coupé du bois avec pour toute nourriture 100 g de pain par jour, qu’une centaine d’autres ont implanté la culture du riz en Camargue, et ce n’est qu’en 1943 avec la première récolte que ceux-là ont pu manger à leur faim.
La paix revenue, ils ont été nombreux à demander à rentrer au Viet Nam mais la France a refusé de peur qu’ils ne prennent les armes contre elle puisque la guerre d’indépendance avait alors commencé.
Plus tard, ceux qui sont rentrés ont été considérés comme des « collaborateurs de l’Armée française », comme des traîtres. Cette stigmatisation a marqué leur vie et celle de leurs enfants ou petits enfants (refusés pour certains métiers, impossibilité de rentrer au parti, etc.).
Qu’ils soient restés en France, ou rentrés au Viêt Nam, ils n’ont pas raconté à leur famille ni plus tard à leurs enfants ou petits-enfants ce qu’ils avaient vécu : les combats menés pour survivre, le travail forcé, la faim, les rigueurs de l’hiver, l’hostilité des Français et le colonialisme vécu au quotidien : « A quoi ça servait de remuer le passé ? Je voulais d’abord assurer un bon avenir à Juliette, ma femme, à ma famille, dans ce pays » dit Nguyen Van Thanh, resté en France.
Aujourd’hui Lam Lê donne enfin la parole à ces oubliés de l’Histoire, il leur donne l’occasion de témoigner enfin de l’injustice qui continue de les poursuivre.
Ce documentaire qui alterne images d’archives, interviews, spectacle de marionnettes sur eau de Hanoï, ponctué de lectures de textes de Frantz Fanon, a l’immense mérite de faire la lumière sur une des pages peu glorieuses et occultées de l’histoire du colonialisme français. Il redonne leur dignité à ces derniers témoins, et il rend aussi justice à tous ceux qui sont morts sans avoir jamais pu dire l’injustice qui a marqué leur vie.
Công Binh, la longue nuit indochinoise
Documentaire, 2012
Durée : 116’
Production : ADR Production
Distribution : Doc & Film International
Voir le site du film pour visionner la bande annonce.
Sur ce même sujet, voir l’article de Gilles Manceron dans H&L n° 160, « Mémoire des travailleurs forcés vietnamiens en France ».