Ce film est totalement de parti pris. Il ne prétend pas expliquer les tenants et les aboutissants ; se moque de savoir si l’histoire se répète ou non, en farce ou en vrai ; il montre juste, mais magistralement, ce que des gens ont vécu, puis revécu à l’envers, leur vérité et la foi qu’ils gardent dans la possibilité du changement.
Tout rapprochement avec la crise contemporaine, ici ou ailleurs, est recommandéLe sujet est on ne peut plus austère. Mais la patte magistrale de Ken Loach en fait un film passionnant, et même producteur d’espoir aujourd’hui. Il s’agit pourtant de la sombre histoire d’un détricotage sauvage.
Premier temps : l’Angleterre de 1945, sortant des ruines de la guerre autour de son héros Churchill, se trouve désireuse de chasser les conservateurs pour gagner une seconde bataille : une victoire sur la misère immense de l’avant-guerre. Elle élit alors un gouvernement travailliste autour de Clement Attlee, qui met en œuvre un formidable programme de réformes et de nationalisations. Deuxième temps : la victoire des conservateurs et de Margaret Thatcher en 1979 et la destruction systématique et programmée de l’œuvre des travaillistes.
Le récit, illustré de nombreuses actualités d’époque, est mené par de nombreux témoins et analystes. Pas comme il est de mode de le faire aujourd’hui, en remettant la parole à de grands intellectuels : mais en mettant sur le même plan, avec la même légitimité, d’anciens mineurs, dockers, syndicalistes, des infirmières, et des historiens ou politologues, qui ont tous à dire sur cette double histoire, avec brièveté et intelligence. Le résultat est une trame de paroles et d’images remarquablement unifiée et dont l’intérêt ne faiblit jamais. Avec une place discrète mais réelle faite à l’émotion devant des images montrant par exemple la misère des enfants mal vêtus, mal nourris et infestés de vermine, vivant dans les pires taudis d’Europe, ou l’explosion de joie des belles filles au retour des soldats de la victoire.
L’œuvre du gouvernement travailliste de 1945, élu triomphalement malgré l’attachement national au leader de la guerre contre le fascisme, Winston Churchill, est colossale. Le peuple anglais a découvert sa force quand il était uni dans la guerre ; il veut s’unir de nouveau pour éradiquer l’immense misère dans laquelle il vivait auparavant. Pour cela le manifeste du parti travailliste préconise la propriété collective contre la concurrence, les nationalisations massives pour programmer une renaissance industrielle, dans un pays économiquement dévasté ; le développement du logement social, des services publics de l’éducation, de la culture et surtout de la santé, avec la création de la Sécurité sociale. Les soins médicaux sont désormais accessibles ; les ouvriers ont droit à des logements décents, des maisons avec des salles de bains dans des villes nouvelles réalisées à partir d’un plan d’urbanisme. Et toute l’activité économique est rationalisée et planifiée par la nationalisation des transports, des mines, des docks, de l’électricité, du gaz et de l’eau ; on quitte enfin un monde dans lequel la liberté économique de quelques uns avait pour corollaire la misère de tous les autres. Le chômage diminue, le bien-être et la dignité reviennent.
Las, en 1979, les conservateurs sont élus, avec Margaret Thatcher qui détricote systématiquement toutes les réformes et les acquis sociaux de l’après-guerre. Retour de l’individualisme, de la course au profit, du capitalisme sans contrôle ; privatisations, dérégulations, mort de l’Etat-providence avec leurs conséquences : crise industrielle, licenciements, chômage, mise au pas des mouvements sociaux et des syndicats avec violences policières. Les mines ferment, les dockers sont de nouveau temporaires et les accidents de trains se multiplient ; on ne construit plus de logements sociaux et un million de jeunes se retrouvent sans emploi.
Reste un parti travailliste coupé des classes populaires qui ont oublié leur pouvoir ; reste le souvenir, chez les anciens, de ces années 1945 qu’il est de leur devoir de raconter aux jeunes pour leur dire que le partage, le progrès et l’espoir existent et qu’ils ont connu une période formidable.
L’Esprit de 45, film documentaire
Royaume-Unis, 2013
Durée : 94’
Réalisation : Ken Loach
Distribution : Why not Productions