Si l’on pense qu’en France les conditions du travail à la chaine n’ont plus rien à voir avec ce que décrivait Charlie Chaplin dans Les temps modernes, il faut aller voir Entrée du personnel.Au départ du projet de Manuela Frésil il y a eu la volonté de connaître les procédures de l’industrie agro-alimentaire de transformation des animaux en viande proposée aux consommateurs, et la visite sidérante du plus grand abattoir industriel de Bretagne. Au-delà de cette sidération ce qui l’a émue c’est le sort des travailleurs qu’elle a décidé de raconter. Témoigner de leurs conditions de travail aurait certainement nuit aux salarié-e-s. Manuela Frésil a donc filmé les images de ces grands abattoirs industriels, accompagnée par des cadres. Les voix off qui racontent sont celles de comédiens mais les propos sont ceux des salariés rencontrés dans les locaux syndicaux.
Au-delà des images qui donnent la nausée : cadavres d’animaux sanguinolents pendus à des crocs, vaches dépecées, porcs coupés en deux à la « tronçonneuse », poulets s’abattant dans des bacs à un rythme soutenu pour être découpés ou ficelés et emballés, l’enjeu de ce documentaire est bien la question des conditions de travail de ces hommes et de ces femmes, « emballés » eux-mêmes dans leurs tenues blanches. Il montre comment le geste de tuer, dépecer, couper, désosser, répété à longueur de journée use leur propre corps.
Pendant huit heures ils font les mêmes gestes et peu importe que les corps en souffrent, l’important c’est le rendement : 800 porcs tués à l’heure, un toutes les quatre secondes et demi, 7 000 par jour, 1 500 000 par an. Un ouvrier saigneur tranchera d’un coup de couteau 3 500 carotides au cours de sa journée de travail.
Sur la chaîne, chaque nouvelle machine fait espérer une amélioration, mais au lieu de soulager elle détruit un peu plus les corps, la direction augmentant les cadences pour rentabiliser l’investissement. S’engage alors un cycle infernal : produire plus, trouver plus de clients, vendre moins cher, la variable d’ajustement étant l’ouvrier soumis à ces cadences démentes. Les corps souffrent, les ouvriers tombent malades plus souvent et plus rapidement que dans d’autres secteurs industriels. Peu importe, la crise fournit rapidement de la « chair fraîche », ainsi que sont désignés les intérimaires par un dirigeant.
Paroles d’ouvrier-e-s :
« On a mal le jour, on a mal la nuit, on a mal tout le temps.
On tient quand même, jusqu’au jour où l’on ne tient plus.
C’est les articulations qui lâchent. Les nerfs qui lâchent.
Alors l’usine vous licencie.
On ne peut pas imaginer comment travailler, ça pourrait être pire…
La retraite, oui, on aimerait bien en profiter au moins deux ans. »
Si, dans Les temps modernes, Charlot pouvait « arrêter le bouton » et partir, aujourd’hui la mécanisation n’a pas forcement apporté la libération ou l’amélioration des conditions de travail aux ouvrier-e-s, surtout quand la rentabilité est le seul moteur des industriels.
Entrée du personnel
Film documentaire, 2011 – sorti en salles le 1er mai 2013
Durée : 59′
Réalisation : Manuela Frésil
Production : Ad Libitum
Distribution : Shellac