La réalisatrice ukrainienne Eva Neymann s’est inspirée de la biographie de l’écrivain russe Frédéric Gorenstein, dont le père a été assassiné lors des purges staliniennes. Le film retrace l’histoire d’un petit garçon de huit ans pendant la guerre. Orphelin de père, il voyage avec sa mère dans un train bondé pour retrouver son grand-père et sa maison. La jeune femme meurt du typhus et l’enfant, seul, réussit à reprendre un train pour rentrer chez lui, à Samara, dans le sud-est de l’Ukraine.Il reçoit parfois un peu d’aide, d’un médecin qui veut le garder à l’hôpital pour le soigner, d’un homme qui le prend dans le train avec sa femme et son fils et le nourrit. Mais la misère effroyable de la guerre, le froid et la faim produisent surtout de l’égoïsme et de la cruauté. Le garçon ne s’en plaint jamais. Il ne pleure pas non plus. Il poursuit obstinément son but, trimballant dans ce chaos les misérables bagages et la robe de sa mère. Sur sa couchette, il rêve de ses caresses et d’une maison avec une tourelle, où habite avec son grand-père une petite-fille qui serait son amie.
L’essentiel est que le film sidère : par ce visage lumineux d’enfant, aux expressions à peine perceptibles, et dont la silhouette empaquetée chemine tout au long du récit. Il sidère aussi par d’admirables images en noir et blanc. La gare grouillante de loqueteux, les queues interminables au guichet et à la poste, l’hôpital avec ses couloirs lugubres, sa salle commune et ses nurses terrifiantes, comme vues à hauteur d’enfant. Les wagons qui brinqueballent à travers les plaines, avec leurs voyageurs misérables, et qui ne peuvent pas ne pas évoquer d’autres convois, pires encore. Et enfin la toundra qui défile au long du train, les paysages russes couverts de neige, en nuages autour des arbres couverts de corbeaux ; ou la jolie maison ancienne avec sa tourelle, fine comme une dentelle et aussi blanche que la neige. Quelques portraits aussi, comme celui d’une mégère trop bien nourrie et avide, qui s’empare de l’argent de l’enfant et se moque de son malheur dans un éclat de rire qui confine à la folie. On est transporté à la fois dans l’histoire, dans le monde des contes russes et dans l’intimité pudique d’un petit garçon.
Rien là de didactique, juste un beau film mystérieux : on ne voit que ce que voit l’enfant, sans pathos ni explication, sans jugement moral. Sans non plus de propos historique ou politique. Au spectateur de réfléchir sur l’histoire de l’URSS pendant la Deuxième guerre mondiale, sur la guerre et la paix ou sur les droits de l’enfant.
La maison à la tourelle
Fiction, Ukraine, 2012
Durée : 80 mm
Réalisation : Eva Neymann
Production : 1+1 Production
Distribution : A3 Distribution
Sortie en salle le 20 novembre 2013 en France.