Cette fois, c’est un film de légende que Carlotta Films demande à la LDH de soutenir, dans sa version numérisée, restaurée d’après le négatif original. Ne boudons pas notre plaisir !Pour des raisons très diverses. D’abord, parce que ce négatif a la même histoire que celle des archives de la LDH : emporté à Berlin par les nazis, puis à Moscou par l’Armée rouge, il a été rendu à la France, en l’occurrence à la Cinémathèque de Toulouse, par le Gosfilmofond. Ensuite parce que le film a une histoire politique difficile : censuré ou interdit pour cause de pacifisme et « philosémitisme » par Vichy, Goebbels et Mussolini, il fut écarté à la Libération pour « philogermanisme ». Le discours pacifiste des anciens combattants de la « der des der » – la voilà, la grande illusion – n’était plus audible après les crimes hitlériens.
Enfin et surtout, parce que c’est un chef-d’œuvre : non seulement par la qualité du scénario, le jeu grandiose des acteurs, surtout Gabin, Fresnay et Eric von Stroheim, la beauté des images et de la musique de Kosma. Mais aussi par la complexité du discours qui s’y tient, de l’analyse des rapports entre les êtres humains, qu’on voit se déplacer selon des lignes multiples. Les Français contre les Allemands, les aristocrates contre les prolétaires, les Gentils contre les Juifs ? Oui, sauf que les hauts gradés allemand et français, le gardien et son prisonnier, le commandant von Rauffenstein et le capitaine de Boeldieu, communient dans le sens du devoir, l’élégance et la déploration de leur classe finissante (et, NDLR, leurs souvenirs du Fouquet’s… et la belle Fifi de chez Maxim’s) ; qu’un amour indifférent aux frontières naît entre le lieutenant Maréchal et Elsa, la belle paysanne allemande qui cache les évadés ; que Boieldieu se réclame de la communauté des prisonniers français, se montre entièrement solidaire de ces hommes du peuple et se sacrifie pour leur évasion ; que Rosenthal, le fils de riches banquiers juifs, nourrit généreusement toute la chambrée dans le camp de prisonniers, et que Maréchal, devenu son ami, le sauve alors que, blessé et épuisé, il s’apprête à renoncer à gagner la frontière suisse. Sans compter une scène, stupéfiante pour l’époque, où de jeunes prisonniers français se travestissent en femmes pour une revue : le silence sidéral qui les accueille dit à la fois la frustration des prisonniers et leur perturbation devant l’indétermination de ce que nous appelons le genre.
Aucune identité, comme on dit aujourd’hui, n’est simple, ni nationale, ni sociale, ni religieuse ou « ethnique », ni sexuelle ; chacun des personnages importants du film est montré dans ses appartenances diverses, avec ses contradictions, au cœur de cette guerre absurde entre toutes.
Il faut le revoir, dans cette belle nouvelle version, et surtout le montrer aux adolescents et à tous ceux qui ne l’ont jamais vu, occasion de débats très contemporains sur des questions qui nous importent.
La grande illusion
Fiction, 1937
114’
Réalisation : Jean Renoir
Production : Réalisations d’art cinématographique
Distribution : Carlotta Films
Restauration : StudioCanal et Cinémathèque de Toulouse
Vous trouverez ci-dessous la programmation de La grande illusion.
A ne pas rater !
Sortie nationale : 15 février 2012
PARIS (les trois salles à partir du 15 février) :
– Champo
– Mac Mahon
– Nouveau Latina
PROVINCE
– Tours / Studios : le 15 février
– Rennes / TNB : le 15 février
– Bordeaux / Utopia : le 15 février
– Lyon / Comoedia : le 15 février
– Colmar / Colisée : le 15 février
– Toulouse / Utopia : le 21 mars
– Valence / Lux : le 28 mars
– Lille / Majestic : le 14 mars
– Caen / Lux : le 22 février
– Amiens / Studio Orson Welles : le 14 mars
– Strasbourg / Star : le 14 mars
– Région Alsace : mars / avril
– Benfeld / Ernstein (Alsace) : ils vont se partager une copie sur la semaine du 7 mars
– Avignon / Utopia : avril