Sujet : au Maroc, de 2000 à 2004, les effets des travaux de l’Instance Équité et Réconciliation (IER) sur les survivants et les familles de disparus des bagnes du roi Hassan II. Le film est dédié à la mémoire de Driss Benzekri, qui était le président de la commission. Compte-rendu par Nicole Savy, membre du Comité central de la LDH.
Mise en place par son fils Mohamed VI, cette commission avait une quadruple mission : établir la vérité sur les violences commises par l’État, jusque là passées entièrement sous silence ; offrir réparation aux victimes et aux familles et assurer, le cas échéant, leur réintégration ; prévenir le retour d’événements analogues ; réconcilier la société marocaine. Les responsables de la répression n’ont pas été nommés ni jugés individuellement, telle fut la règle de cette commission extra-judiciaire.
Il ne nous présente pas le récit historique de la répression mais mène, de son côté, son enquête auprès de la famille d’un syndicaliste inexplicablement disparu, d’un fils qui n’a pas eu le temps de connaître son jeune père, ou d’un vieux militant révolutionnaire rescapé. La plupart sont d’abord muets, comme pétrifiés. La parole et la mémoire reviennent lentement. Les vieilles femmes évoquent leur analphabétisme et leur ignorance, le silence absolu de leurs maris sur leurs activités, l’inutilité de remuer les cendres du passé, l’impossibilité de ressusciter les morts. Reviennent la peur qui régnait alors et assurait le silence, avec la honte très forte d’appartenir à une famille de réprouvés et l’incompréhension totale de ce qui se passait. Celui qui a été torturé dit que la torture ne se raconte pas.
De multiples questions se posent : ne vaut-il pas mieux oublier ? Comment sortir d’une identité de « fils de traître », vaincu d’avance dès sa naissance ? Quel sens reste-t-il à ces vies de survivants du bagne, dont les projets politiques ont échoué ? Leur révolte était-elle utile ?
Les enquêtes de la commission avancent mais elles sont difficiles, avec la mort de la plupart des témoins et le chaos qui règne dans les archives policières. La commission remet un rapport écrit le 6 janvier 2006. Elle reconnaît la culpabilité de l’État, réhabilite les militants assassinés, reste souvent ignorante des circonstances précises des disparitions, procède à des inhumations collectives et verse aux familles des indemnisations financières.
Le fils ne verra pas le corps de son père, enfoui avec d’autres dans une fosse commune. Il ne pourra pas le réensevelir. Il apprend comment les choses se passaient, il se rend à Tazamamart et voit la fosse le long du mur.
La grand-mère apprend que son mari était rejeté du syndicat auquel il appartenait à cause de ses activités dissidentes.
« Tu es un mort-vivant », dit la nièce à son oncle : mais il se met enfin à parler et réaffirme fièrement : « J’ai été acteur ». Ses engagements révolutionnaires sont intacts.
Entre scepticisme, espoirs, déceptions et travail de deuil, ces portraits sans manichéisme donnent vie à un épisode essentiel de l’histoire récente du Maroc, épisode à la fois stupéfiant et nécessairement imparfait.
Les images, elles, nous mènent d’un univers à l’autre : intérieurs modestes, immeubles faiblement éclairés dans la nuit angoissante, et univers clair et lumineux de la modernité où se mène le travail de la commission. Entre l’épaisseur de la mémoire et la nécessité de l’histoire, la justice avance à tâtons.
– Film documentaire, 2008 (sortie septembre 2009). Réalisation : Leila Kilani. Production : CDP-INA-Socco Chico
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