De nouvelles conditions
Le pluralisme religieux que nous connaissons n’existait pas il y a 96 ans, du moins n’était-il pas perceptible de la même manière : face à l’agnosticisme et l’athéisme, le catholicisme, le protestantisme et le judaïsme en dessinait les contours d’où était exclu, déjà, l’Islam pourtant largement présent en Algérie. Les mouvements de population n’avaient pas l’importance qu’ils ont aujourd’hui., Ils iront s’amplifiant, accélérant ainsi la richesse de mélanges « ethniques » et culturels. Chacun de nous s’inscrit dans une histoire de moins en moins univoque, nous sommes de plus en plus en situation d’appartenances culturelles multiples. Il en résulte une diversité à laquelle nous n’étions pas habitués et l’apparition de références culturelles extrêmement mouvantes. Le tout dans un contexte ou la mondialisation accroît la rapidité des phénomènes, favorise la diffusion et l’échange des informations mais provoque, par ses injustices, une recherche identitaire, à la fois riche de la diversité humaine qu’elle reflète mais aussi parfois et pour une part, manifestation de repli qui signifie à la fois demande de protection et rejet et aussi une plus grande difficulté à concevoir l’espace commun
On peut aussi légitimement s’interroger sur la pertinence de certaines classifications. La distinction entre sphère publique et sphère privée en fait partie. On pourrait dire à ce propos qu’en même temps que se définissait un espace public, on laissait à l’espace privé tout ce qui relevait de l’ordre du religieux, de la morale, des rapports familiaux, des rapports hommes femmes. L’État n’avait pas à intervenir dans cette sphère privée qui semblait relever exclusivement de choix individuels, lesquels n’avaient pas à interférer dans une sphère publique réservée au politique et au social. On peut déjà se demander si cette distinction a été réellement opératoire tant il est difficile d’imaginer un individu aussi divisé et dont les engagements publics seraient totalement indépendants de sa propre histoire et de sa vie. On reconnaissait l’existence de domaines où les sphères se recouvraient : l’éducation est intimement liée à l’École mais le rôle et le poids de la famille y sont bien présents. Là non plus, les choses ne sont pas restées figées : la sphère publique s’est considérablement accrue. L’État légifère sur notre manière de procréer ou, par exemple, sur les rapports hommes femmes. Les femmes et les enfants ne sont plus abandonnés au silence clos des familles qui a fait que jusqu’à une période récente, les maltraitances de toute sorte demeuraient enfouies au fond des secrets familiaux. Il n’y a pas là atteinte à la liberté de conscience mais volonté de reconnaissance pleine et entière des droits des femmes et des enfants, volonté de rupture avec l’appropriation de ceux-ci par le chef de famille patriarcal.
A l’inverse, la diversité culturelle, la tendance à la disparition de modèles familiaux fermés, la revendication d’une existence personnelle, la diffusion de l’éducation, la facilité de communiquer ont conduit à l’expression des identités personnelles et culturelles dans ce qu’il était convenu d’appeler la sphère publique. La revendication de prendre en compte cette dimension individuelle devient de plus en prégnante au fur et à mesure que se dessine une identité dont les composantes sont multiples. La mono appartenance à tel ou tel groupe social ou culturel est devenue caduque. Tout au contraire, ce sont des appartenances multiples qui se manifestent et dans tous les domaines. Pour reprendre une formule devenue habituelle, nous sommes dans la situation ou chacun puise, à son gré mais aussi selon l’espace de liberté dont il dispose, dans des références diverses. En fait de séparation entre la sphère publique et la sphère privée, c’est bien d’une dialectique, d’une circulation qu’il faut parler.