La laïcité plus que jamais
Certes, la laïcité ne constitue pas une politique. Offrant à la société un cadre, elle ne dispense pas, tout au contraire, de s’inscrire dans une démarche politique au même titre que la défense les droits de l’Homme ne saurait se substituer à cette même démarche politique. A ce titre la laïcité n’a pas besoin d’adjectif, mais les exigences qu’elle pose impliquent la recherche de solutions politiques. Autrement dit, penser la laïcité comme ’LA’ solution à toutes les questions auxquelles la société est confrontée, c’est se tromper d’instance et c’est, surtout, s’abstenir d’identifier les problèmes et de réfléchir aux solutions concrètes à apporter.
Si la laïcité est aussi la construction d’un espace commun qui transcende les différences tout en assumant la diversité, nous devons nous interroger sur la pertinence des instruments existants et sur les réponses que nous pouvons apporter aux questions d’aujourd’hui.
Le respect de la liberté de conscience reste un impératif absolu. En ce domaine, le dispositif juridique actuellement en vigueur a acquis en France une légitimité et une efficacité qui justifient son maintien. Aucun dogme ne doit investir le champ du politique et ne doit s’imposer à quiconque. Ceci implique le maintien de la séparation des institutions religieuses et de l’État. L’État et la société dans son ensemble doivent, en même temps, accueillir la diversité religieuse et garantir pleinement le libre exercice du culte, c’est à dire la possibilité pour chacun, mais aussi pour les Églises, d’exprimer et de pratiquer une foi dans le cadre des lois de la République.
A ce titre, les discriminations multiples dont l’Islam et les musulmans sont l’objet sont un défi à la laïcité de la République. Rien ne peut justifier que l’Islam soit traité d’une manière différente des autres religions ou que les musulmans soient l’objet d’une stigmatisation allant parfois jusqu’à la criminalisation.
Plus largement, la laïcité ne peut s’accommoder des discriminations de toute nature qui hypothèquent le constitution d’un espace commun. Exiger de ceux qui subissent ces discriminations l’allégeance à des principes devenus, pour une part, virtuels revient à nier une réalité fondamentale : sans égalité des droits, la laïcité n’est qu’un concept abstrait dénué d’effectivité. Dans le même esprit, la LDH réaffirme qu’au-delà des inégalités du traitement du religieux, seul l’accès total à la citoyenneté, notamment par le droit de vote et d’éligibilité, sera en mesure de garantir une réelle égalité aux individus issus pour l’essentiel de l’immigration.
Il faut dénoncer avec force la part de ségrégation que portent en elles les stratégies scolaires successives. A cet égard, certaines pratiques de l’école publique contredisent la mission de l’école de la République qui demeure l’accès de tous à la connaissance. Tout ce qui peut entraver en son sein l’aspiration à l’égalité des citoyens contredit cette mission.
Plus largement et bien plus sûrement que toute manifestation d’intolérance religieuse, les discriminations, de toute nature, portent atteinte, aujourd’hui, au contrat civique commun qu’exige la laïcité.
Lutter contre les discriminations, c’est aussi prendre en compte la diversité culturelle et les échanges accrus et permanents entre la vie privée et la vie publique de chaque individu, comme de chaque groupe humain. La République n’est pas menacée par ces évolutions dès lors qu’elle assure l’intégration de tous au sein d’un espace commun qui accueille la diversité des cultures et des choix individuels dans l’égalité des droits. Cet espace repose sur la définition de règles communes mais aussi sur la reconnaissance du droit de chacun à se dissocier d’une communauté. En aucune manière, les droits individuels ne peuvent dépendre de l’appartenance à une communauté.
Mais donner les moyens aux individus de se dissocier des pratiques et des croyances de leurs communautés n’implique pas de nier l’existence de celles-ci. Sans transférer ou démembrer l’exercice de la souveraineté populaire, la démocratie a besoin de s’enrichir des dialogues qui se manifestent au niveau local ou de manière transversale dans la société. Les individus eux-mêmes ressentent le besoin d’être reconnus au sein des groupes dans lesquels ils se reconnaissent : la définition d’un contrat commun n’est pas synonyme de dialogue singulier et exclusif entre chaque citoyen et la République.
Enfin, nous sommes aujourd’hui insérés dans une Europe qui, par-delà certains problèmes qui demeurent, affirme concrètement la liberté de conscience. Et il nous faut admettre que son respect ne passe pas uniquement par les formes que notre histoire a mises en œuvre et se construit dans des conditions historiques nouvelles. C’est à cette condition que nous pourrons faire partager, non notre exemple, mais notre expérience à ceux qui vivent aujourd’hui, en Europe et au-delà, dans des régimes et des sociétés mêlant le politique et le religieux, sur fond d’exclusion sociale massive. Là se trouve la véritable dimension universaliste de la laïcité qui offre, dans le respect de l’originalité de chaque société, le partage de valeurs communes à l’Humanité toute entière.
Ne nous privons pas de la laïcité, elle est toujours une idée neuve.