Églises et États
Rares sont ceux qui, même au sein des hiérarchies ecclésiastiques, entendent aujourd’hui remettre en cause la séparation des Églises et de l’État. Qui peut aujourd’hui prétendre que nos concitoyens seraient prêts à admettre que le gouvernement de la société réponde aux ordres d’une institution religieuse ? D’ailleurs, les engagements internationaux de la France, en particulier la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, l’interdiraient. Il faut en prendre acte avec satisfaction : la laïcité a largement pénétré la société dans son ensemble, y compris parmi ceux qui adhérent à une foi et qui trouvent pleinement leur place au sein des organisations laïques. Des militants issus de toutes confessions professent nos idées et se retrouvent à nos cotés.
Les contradictions subsistent et les évolutions ne sont pas uniformes. Certains pays, notamment en Europe du Nord, s’orientent vers une séparation, quelle qu’en soit la forme, des cultes et de l’État, d’autres, au Sud de l’Europe, ont déjà, en suivant leur propre voie, assuré la liberté religieuse. En revanche nombre de pays subissent encore de plein fouet la confusion entre le champ politique et le champ religieux. Ici même, il est constamment nécessaire de rappeler aux institutions religieuses que le droit des femmes ne peut s’accommoder d’une vision patriarcale et moralisatrice qui ne traduit, en fait, qu’un processus permanent de domination des hommes sur les femmes. Comment ne pas voir qu’en commémorant l’anniversaire du baptême de Clovis dans un vase clos chrétien, c’est l’idée d’une France immuable que l’on met en avant au mépris du creuset qui a constitué ce pays et du creuset qui le constitue encore? Comment ne pas constater qu’au nom du respect de leurs valeurs, toutes les institutions religieuses sont d’accord pour tenter de porter atteinte à la liberté d’expression et de création ou pour tenter de dicter des choix de vie ? Comment, enfin, ne pas s’inquiéter du développement, heureusement limité, de mouvements aux attitudes et aux comportements sectaires, parfois dépendants des institutions religieuses déjà existantes ?
S’il n’est plus possible, aujourd’hui, de regarder le rapport entre institutions religieuses, société et État de la même manière qu’en 1905, il reste nécessaire de poursuivre ce débat entre ceux qui subordonnent la liberté à un dogme et ceux qui recherchent la liberté d’une humanité en perpétuel devenir. Il demeure qu’une société laïque offre à chacun la possibilité d’un choix qui transcende les adhésions philosophiques ou spirituelles, ouvrant vers l’universel. Ce choix semble toujours dérouter les institutions qui, d’une manière ou d’une autre, affirment leur vérité comme seule explication de la vie et du monde.
Trois départements, ceux d’Alsace et de Moselle, sont tributaires d’un droit local et notamment d’un statut scolaire qui perdure inchangé depuis 80 ans, constituant une zone de non-droit qui discrimine les jeunes n’appartenant pas aux trois religions concordataires, et tout particulièrement les musulmans et les non croyants. Ce statut scolaire, au demeurant non codifié et donc inaccessible aux usagers, constitue un anachronisme qui doit cesser, pour être remplacé par une législation conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme et à la liberté absolue de conscience.
Le combat pour la liberté de conscience n’est jamais terminé. Plus difficile est encore le combat pour l’égalité des droits. Restreindre, en effet, la portée de la laïcité au seul rapport entre institutions religieuses, société et État reviendrait à la priver de son plein sens et à la rendre inefficace.