18 mars 2003 – 18 mars 2013 : 10 ans ce sont écoulés depuis l’adoption de la loi pour la sécurité intérieure dont le chapitre VIII s’intitule « Dispositions relatives à la lutte contre la traite des êtres humains et le proxénétisme », suivi d’un chapitre X devenu célèbre par son article 50 qui fait du racolage un délit. Mais cela a-t-il réellement répondu à la problématique ? Retour sur les points clés du dispositif.
Des données statistiques inexistantes
A ce jour, il n’existe aucun bilan public. Seuls existent des éléments tirés du casier judiciaire national qui font apparaître quelques dizaines de condamnations définitives en matière de traite des êtres humains depuis 10 ans. Manifestement, les juridictions ne se saisissent pas du dispositif légal en vigueur, préférant rester sur le terrain du proxénétisme. Les chiffres parlent d’ailleurs d’eux-mêmes puisque pour l’année 2010, 475 condamnations sont à relever sur cette qualification pénale.
L’accès à un titre de séjour soumis à l’arbitraire des préfectures
La délivrance du titre de séjour, que ce soit au moment du dépôt de la plainte ou du témoignage ou après la condamnation de l’auteur de l’infraction, relève du pouvoir propre d’appréciation du préfet et n’est nullement une délivrance de plein droit. Le contentieux administratif en la matière est dense et met en lumière les pratiques dilatoires des préfectures. En outre, aujourd’hui encore, demeurent exclues du dispositif les victimes dont les exploitants ne se trouvent pas sur le territoire français et celles qui ne disposent pas d’informations suffisantes.
Un droit d’asile bafoué
L’accès à la procédure d’asile est un véritable parcours du combattant pour une victime de la traite des êtres humains, d’autant que très souvent une première demande d’asile « fictive » a été déposée par les trafiquants pour la victime afin de régulariser son séjour en France pendant quelques mois et faciliter ainsi son exploitation forcée. Dans ce contexte, les services préfectoraux traitent la demande – quand ils l’acceptent – selon la procédure dite « accélérée», ne tenant pas compte de la situation de contrainte dans laquelle les personnes se sont trouvées lors de leur première demande. Et lorsque le dossier à l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) abouti, cela conduit généralement à l’octroi de la protection subsidiaire et non au statut de réfugié, méconnaissant ainsi les principes directeurs du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, pour qui les actes associés à la traite sont considérés comme des persécutions.
Le dispositif de protection, d’accueil et d’hébergement laissé à l’entière charge des associations
Un dispositif national de protection et d’assistance aux victimes de la traite, financé par l’Etat et géré par une association (association ALC Nice) existe depuis le mois d’octobre 2001. Ce dispositif permet d’éloigner géographiquement les victimes de la traite en danger localement. Il repose sur les places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale prévues pour des bénéficiaires de droit commun. Or, ces lieux d’accueil sont souvent saturés, comme le dénoncent régulièrement les travailleurs sociaux. Il est difficile de dégager des places dans le cadre du dispositif adopté. Un constat partagé par le GRETA (Groupe d’Experts sur la lutte contre la traite des êtres humains) du Conseil de l’Europe dans son rapport concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par la France, rendu public le 28 janvier 2013.
Le délit de racolage passif toujours en vigueur
De nombreux écrits existent sur cette question. Et comme l’affirmait déjà la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’Homme) dans son avis du 14 novembre 2002 si nous ne méconnaissons pas «la nécessité de lutter contre les réseaux mafieux souvent internationaux dont les premières victimes sont les personnes qui y sont soumises ». « on ne protège pas les victimes en les mettant en prison. ». La nouvelle majorité présidentielle s’est engagée à abroger cette disposition.
Le phénomène de la traite des êtres humains est donc considéré par les autorités françaises davantage comme une forme d’immigration clandestine que comme une atteinte grave aux droits de l’Homme. L’écart important entre le droit et la pratique perdurera tant qu’il n’y aura pas une coordination multidisciplinaire en la matière et une connaissance du phénomène. En 2009, un groupe interministériel sur la traite des êtres humains a été mis en place conjointement par le ministère de l’intérieur et la Chancellerie. Un Plan d’action national de lutte contre la traite des êtres humains comportant 33 mesures a été rédigé. Jusqu’à présent, ce Plan n’a reçu aucune application. Et la France reste dans le domaine de l’incantation.