Les droites, qu’elles soient décomplexées, néo-conservatrices, nationalistes, catholiques de « tradition », identitaires, souverainistes ou ultras, sont à l’offensive sur tous les terrains (dans la rue, à l’Assemblée, au Sénat…) et sur quasiment tous les dossiers. Elles exploitent chaque hésitation, chaque faiblesse de François Hollande et de son gouvernement. La chercheuse Florence Haegel analyse « la droite française [comme] en fusion au sens où elle semble échauffée, enflammée par la série de défaites électorales, locales, présidentielle et législatives, et les tensions et débats qu’elles ont inévitablement générées ». cf. Les droites en fusion, H&L n°161.
Tandis que Guillaume Peltier, le « bébé Buisson » de la Droite forte, présente l’UMP comme le parti de l’ordre et du mouvement, de « l’ordre juste » (France Inter, 9 avril 2013), d’autres mouvances n’hésitent pas à reprendre les codes et slogans des gauches radicales pour clamer : « on ne lâche rien » en rêvant d’un printemps français« Derrière le Printemps français, l’influence de l’institut Ichtus », Droite-extrêmes, blog de C. Monnot et A. Mestre, Le Monde., d’un « mai 2013 » qui enterrerait Mai 68 et le Mariage pour tous« Le gouvernement doit démissionner », entretien d’Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, Minute, 10 avril 2013.. Bref, les ingrédients de « la guerre culturelle »« Le gouvernement doit démissionner », entretien d’Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, Minute, 10 avril 2013. sont réunis.
Pour ces droites (dont nombre d’entre elles se revendiquent républicaines au sens « mégretiste » du terme), il s’agit non seulement de s’opposer au Président « élu par défaut » (Minute, 10 avril 2013) mais également de contester « la gauche […] usée après à peine un an d’exercice du pouvoir, impuissante à apporter des réponses à la crise et incapable d’incarner un espoir pour les Français. »Editorial de Jean-François Copé, site de l’UMP, 12 avril 2013., ou encore, pour le FN, « L’état PS plus impopulaire que jamais et l’UMP plus que jamais sans âme ni consistance » Nations presse magazine , mensuel mariniste – de fait celui du FN –, avril 2013..
Ces dernières semaines, les droites – entre concurrence et convergencesOutre des initiatives de rue où l’on observe de plus en plus fréquemment des manifestants UMP au côté de regroupements d’extrême droite contre le « Mariage pour tous », c’est sous la pression de la Fondation Jérôme Lejeune que la « proposition de loi autorisant la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires a été ajournée lors de son examen à l’Assemblée nationale, le 28 mars 2013. Gilbert Collard (député Rassemblement bleu marine) se félicitera le 3 avril que les députés de l’opposition (tous groupes confondus) se [soient] pour une fois unis afin [d’y] faire barrage. » – utilisent le prétexte de l’affaire Cahuzac pour alimenter un climat propice à « une révolution civique » (UMP), un « sursaut patriote » (Front national) ou une « Union des patriotes pour enrayer la crise morale, politique et économique qui ruine la France » (Siel Le SIEL – Souveraineté, Indépendance Et Libertés – est un micro-parti souverainiste dirigé par Paul-Marie Couteaux. Comme le FN, le Siel est une composante du Rassemblement bleu marine (RBM).). Ils prétendent s’appuyer sur la « France normale » (Minute), la « France des invisibles » (Valeurs actuelles) ou la « France des oubliés » (Marine Le Pen) pour conquérir (ou reconquérir) les pouvoirs locaux comme première étape vers 2017.
Pour autant, s’agissant particulièrement de l’UMP et du FN, cette affaire n’a pu être exploitée autant que l’auraient certainement souhaité les dirigeants de ces organisations.
L’UMP, entachée par les affaires Karachi et Bettencourt également révélées par Mediapart, préfère « insister sur le mensonge » comme Jean-François Copé l’affirmait lors du bureau politique du 2 avrilCe qui explique sans doute la similitude des couvertures de Valeurs actuelles et du Figaro magazine titrant, cette semaine, respectivement sur « La République des Menteurs » et « Les mensonges de la République ».. Mediapart (3 avril 2013) précise que le message minimal à l’issu de ce bureau politique est : « il faut cogner sur François Hollande et l’exécutif, qui est discrédité, il ne faut rien voter avec le PS. » Est-ce que cela explique (outre l’idée de ne pas paraitre trop intimement associé à l’orientation du « capitalisme mondialisé » du Medef de Laurence Parisot pour coller à l’orientation « vers le peuple » de Patrick Buisson), l’abstention de l’UMP lors de l’adoption du projet de loi entérinant l’ANI ?
Du côté du Front national, l’opportunité était trop belle d’alimenter le « tous pourris » et les frasques de « l’UMPS » (Jean-Marie Le Pen parlait de la « bande des quatre : UDF-RPR-PS-PC ») sur lesquels il capitaliserait.
Mais, à peine Marine Le Pen avait-elle appelé à la démission du gouvernement et à la dissolution de l’Assemblée nationale à la suite des aveux de Jérôme Cahuzac, qu’elle dût en rabattre.
En effet, le quotidien Le Monde révélait le rôle de Philippe Péninque, ancien membre du Gud – groupuscule étudiant musclé – et conseiller officieux de la benjamine Le Pen. Philippe Péninque Pour en savoir plus, lire Le système Le Pen – Enquête sur les réseaux du FN, Monnot-Mestre, Denoël, 2011.s’était chargé de l’ouverture du compte suisse de Jérôme Cahuzac qu’il connaissait bien et de longue date. Le Canard enchainé (10 avril 2013) rappelait également les révélations faîtes en 1992 par la mère de Marine Le Pen, que Jean-Marie Le Pen « avait planqué au moins 40 millions de francs (soit 6,10 millions d’euros) à l’UBS de Genève. Le magot était alors cogéré par un éditeur français, Jean-Pierre Mouchard, trésorier de l’association de financement du FN, Cotelec ».
Face à ce retour de flamme, Marine Le Pen se retrouvera sur la défensive et privilégiera la posture victimaire. Pour autant, on peut lire dans Nations presse Magazine d’avril 2013 Paru le 10 avril, le mensuel ne cite à aucun moment l’affaire Cahuzac. En revanche, des brèves sont consacrées à l’affaire Guérini, aux emplois détruits, à la baisse du pouvoir d’achat… ainsi, bien sûr, qu’aux thèmes identitaires de prédilection: viande halal dans les cantines scolaires et danger islamiste ou djihadiste., au sujet des municipales de 2014 : « c’est justement en choisissant des candidats à l’intégrité incontestable que le FN propose un renouveau ». Intégrité incontestable, à voir. Mais en tout état de cause, l’affichage est clair. Via une nouvelle génération militante, il s’agit de refaire le coup du « mains propres, tête haute ».
Comme le souligne le politologue Jean-Yves Camus: « Le Front a survécu à toutes les turpitudes concernant les question d’argent qui sont sorties à son sujet. […] A chaque fois qu’une affaire de corruption éclate, on a l’impression que c’est la première. Mais depuis les années 1980, c’est un mouvement de fond : le FN a certes beaucoup capitalisé dessus, mais son essor n’est pas seulement dû à cela. […] Les questions de sécurité, d’immigration, la situation économique perdurent, et ce sont aussi des thématiques traditionnelles du FN… »
André Déchot,
responsable du groupe de travail « Extrêmes droites »