Monsieur le Ministre,
Le 4 décembre 2008, le tribunal de première instance des Communautés européennes a annulé la décision du Conseil des ministres de l’Union européenne en date du 15 juillet 2008 maintenant l’Organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI) sur la liste des organisations considérées comme terroristes par l’Union. Cette décision, rendue avec une célérité exceptionnelle, relève que la décision du Conseil « ne peut se fonder sur aucune justification raisonnable » et caractérise « un excès ou un détournement de pouvoir ».
Il n’est guère besoin de vous rappeler que le même tribunal avait déjà annulé une décision semblable du Conseil le 12 décembre 2006, et que depuis lors la justice britannique, par deux décisions successives en dates des 30 novembre 2007 (Commission d’appel des organisations proscrites) et 7 mai 2008 (Cour d’appel), a déclaré irrégulière l’inscription de l’OMPI sur la liste britannique des organisations terroristes, inscription qui constituait alors le seul fondement de la décision européenne analogue. Ainsi le Royaume-Uni a-t-il retiré l’OMPI de sa liste le 24 juin 2008.
C’est dans ces conditions que vous avez cru devoir produire devant le tribunal de première instance des Communautés européennes des conclusions en défense de la décision du Conseil des ministres de l’Union tendant, pour justifier cette décision, à substituer à l’inscription de l’OMPI sur la liste britannique un nouveau fondement tiré de la procédure lancée contre l’OMPI en France en 2003 en application de la loi d’exception française dite « antiterroriste ».
De l’opération policière à grand spectacle du 17 juin 2003, il apparaît à l’évidence qu’il ne reste aujourd’hui aucun élément judiciaire sérieux, alors déjà que les personnes arrêtées ont été remises en liberté très rapidement et que la police « antiterroriste », plus de cinq ans après, n’a toujours pas semble-t-il été en mesure de produire des élément de preuve d’actions terroristes permettant de juger publiquement et contradictoirement les personnes poursuivies, au point que la procédure est totalement enlisée et ne subsiste que pour des raisons trop évidemment liées au champ de compétences de votre ministère. Ce sont ces faits qui ont conduit les juges européens à considérer qu’aucun élément émanant d’une autorité judiciaire française ne leur avait été communiqué et que la demande d’obtenir un nouveau délai de jugement était manifestement irrecevable car dilatoire et qu’il convenait de statuer moins de vingt-quatre heures après l’audience compte tenu de l’absence de défense sérieuse sur le fond.
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La Ligue des droits de l’Homme trouve inacceptable que la République française contribue ainsi activement et en connaissance de cause au maintien de décisions plus que contestables de l’Union européenne et persiste en outre depuis tant d’années à maintenir, sur le plan national, une procédure pénale qui perdure sans fin au point de perdre toute crédibilité.
C’est pourquoi, Monsieur le Ministre, j’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir intervenir auprès du Conseil des ministres de l’Union européenne pour que la décision des juges européens ne soit pas frappée d’un appel qui ne pourrait être regardé lui aussi que comme dilatoire et manifestement abusif et pour que cette décision soit au contraire appliquée dans les plus brefs délais, afin de rétablir le respect de l’état de droit et de mettre un terme au traitement injustifié dont est victime l’OMPI par la faute de notre pays.
Vous comprendrez, compte tenu des circonstances, que je rende publique la présente lettre.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.
Jean-Pierre Dubois
Président de la LDH
Paris, le 20 janvier 2009