Lettre ouverte de l’Observatoire de la liberté de création de la ligue des droits de l’Homme adressée à Paolo Baratta, Président de la Biennale de Venise et à Daniel Birnbaum, Directeur. Monsieur le Président, Monsieur le Directeur,
Nous venons d’apprendre l’acte de censure que vous venez d’effectuer à l’encontre de l’artiste belge Jacques Charlier et nous tenons à vous faire part de notre stupéfaction la plus grande.
En quoi des caricatures de sexes d’artistes connus, mises en scène dans un dispositif aussi fréquemment utilisé que des panneaux d’affichage public, risquaient-elles de choquer un public que vous avez habitué de longue date à des œuvres autrement plus choquantes ? Louise Bourgeois, Lea Lublin ou Toscani n’ont-ils pas, pour ne citer que ceux-là, exposé à la Biennale de Venise des représentations sexuelles qui sont partie intégrante tant de l’histoire de l’art que de celle de la Biennale ? Ce qui était montrable hier ne l’est-il plus aujourd’hui ?
Votre décision est-elle due au fait que Charlier a choisi de présenter ses caricatures dans la ville même, hors des espaces clos des pavillons nationaux ou des expositions institutionnelles ? Est-ce pour protéger le public qui n’a pas choisi d’entrer dans la Biennale ? Mais alors, que n’interdisez-vous toute représentation artistique hors les murs de l’arsenal et des giardini ? De quoi croyez-vous, compte tenu de l’absence totale de violence de ces dessins, protéger les habitants de la ville de Venise ? Pourquoi et de quoi supposez-vous qu’ils seraient choqués ?
La Cour Européenne des droits de l’Homme affirme depuis de nombreuses années que les idées (auxquelles elle assimile les œuvres) peuvent librement choquer, qu’il en va du débat démocratique. Celui qui censure juge à la place d’autrui, outre qu’il croit se protéger.
Comment pouvez vous présumer que les artistes eux-mêmes pourraient être choqués, et que cela justifierait votre censure ?
Nous vous demandons de revenir sur votre décision, de faire confiance au public, de respecter le choix de la communauté Wallonie-Bruxelles qui a sélectionné ce projet, de faire confiance à Enrico Lunghi, commissaire avisé, et aux artistes.
La Biennale ne peut être le lieu du retour de l’ordre moral. Ou alors, dans les possibilités que propose le titre que vous lui donnez, quel monde choisissez vous de construire ?
Nous sommes à votre disposition pour débattre de cette affaire. Vous comprendrez, étant donnée la gravité des faits, que nous rendions ce courrier public.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Monsieur le Directeur, en l’expression de notre considération distinguée.
Paris, le 20 mai 2009