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Compte rendu de la conférence-débat de Catherine Samary à Audincourt le 9 octobre 2007

Pour mieux comprendre la situation des demandeurs d’asile bosniaques

Les expulsions de familles bosniaques sur le pays de Montbéliard ont amené RESF et la Cimade à tenter de comprendre quelle est la réalité de ce pays « sûr » vers lequel on renvoie les demandeurs d’asile.

Une réunion publique à Audincourt, sur le thème “Pays de l’ex-Yougoslavie, où en est-on ?” animée par Catherine Samary, universitaire spécialiste des Balkans et correspondante du Monde diplomatique s’est tenue le 9 octobre 2007. Cette réunion a été un succès : un peu plus de 70 personnes y ont assisté dont des Bosniaques et des Serbes de la république serbe de Bosnie. Le préfet et le sous-préfet , principaux acteurs locaux de ces expulsions avaient été invités. Ils ne sont pas venus. Dans les années 70, beaucoup de travailleurs yougoslaves ont émigré dans la région de Montbéliard pour répondre aux demandes d’embauche de Peugeot. Ceci explique qu’il y a aujourd’hui une représentation importante des demandeurs d’asile venant d’ex-Yougoslavie : quand il a fallu fuir la guerre, le pays de Montbéliard était une région où un grand nombre de personnes y avaient des attaches.

Catherine Samary a présenté les grandes lignes de la politique européenne concernant les réfugiés de Bosnie-Herzégovine (BH) ; les conflits qui ont ravagé la BH et l’état des lieux.

Les politiques de nettoyages ethniques ont ravagé la Bosnie-Herzégovine (BH) de 1992 à 1995, jusqu’au cessez-le-feu associé aux accords de Dayton-Paris. Ceux-ci ont établi une nouvelle constitution en 1995.

I) Quelques remarques initiales sur cette phase – introduisant ce qu’il en est à ce jour :

1) En pleine guerre de nettoyages ethniques (qui a fait 100 000 morts, quelques 2 millions de personnes déplacées ou réfugiés, des centaines de milliers de blessés), la France … a introduit des visas pour les ressortissants de BH – alors que ceux de la Croatie voisine, comme c’était le cas des citoyens de Yougoslavie avant la crise, pouvaient circuler sans visas .

Plus largement, le droit d’asile dans l’Union européenne et en particulier en France, dans le même temps où il devenait urgent de s’ouvrir aux réfugiés de ces drames, s’est transformé en substance en complexes procédures de protection… de l’UE, de la France – pays supposés d’accueil…

2) La constitution de Dayton, a été rédigée de l’extérieur, par les diplomates étasuniens principalement, sans processus constituant – c’est à dire sans réel consensus entre les populations concernées sur un projet de vivre ensemble, et surtout sur le « comment » vivre ensemble, après de tels conflits. Cette constitution établissait une BH supposée « souveraine » (elle a des organes de gouvernement globaux, régionaux, communaux, des parlements sur ces divers plans, des élections pluralistes depuis 1995). Mais :

– un Haut représentant (aujourd’hui de l’UE) a de pleins pouvoirs sur des domaines essentiels (démettre des personnes élues, établir des lois…), qui font de ce pays un quasi-protectorat. Cet aspect, loin de s’atténuer, s’est confirmé encore récemment. Et il produit des réflexes « nationalistes » (notamment dans les parties à dominantes serbes ou croates) en faveur des candidats que l’UE ne soutient pas. La présence internationale et ses financements ont été un échec sur le plan socio-économique : la BH a plus de 50% de chômeurs et un niveau de pauvreté qui la met au bas de l’échelle en Europe sur ce plan… avec corruption endémique, et ONG-isation des emplois et « syndrome de la dépendance » envers les institutions internationales.

– La Constitution de Dayton a entériné deux « entités » sur des bases ethniques : la « republika Srpska (RS) » (à ne pas confondre avec la Serbie voisine), territoire regroupant la majorité des Serbes et doté de ses institutions politiques ; et la Fédération Croato-Bosniaque à majorité croate et « boshniaque » (« Musulmans » au sens ethnico-national dans l’ancienne terminologie) qu’on appelle couramment « la Fédération » – à ne pas confondre avec la Bosnie-Herzégovine elle-même.

II) L’état des lieux… un « pays sûr » ?

A ce jour, Les croates de l’Herceg-Bosna qui est au sein de la « Fédération », ont… le droit de vote en Croatie, et une tendance séparatiste forte.

De même, s’expriment dans la RS des projets récurrents de referendum pour se rattacher à la Serbie : l’actuel Premier ministre de la RS Milorad Dodik qui était pourtant soutenu initialement par la « communauté internationale », est actuellement porteur de ce genre de projet… Et des rumeurs courent sur sa possible « destitution » par le Haut-représentant.

Globalement, la BH est à ce point instable qu’elle est le seul pays des Balkans de l’ouest et issu de l’ex-Yougoslavie, à n’avoir pas satisfait les conditions que l’UE exigeait de lui pour ouvrir des négociations de pré-candidature d’adhésion (ASA – Accords de stabilisation et d’association) : par refus de toute logique d’unification de l’appareil policier, la RS a refusé la dissolution de la police en vigueur dans l’entité serbe ; plus largement, à l’échelle du parlement de la BH, il y a eu blocage contre les modifications constitutionnelles prônées par les Etats-Unis et l’UE visant à consolider l’unité institutionnelle du pays…

Sa fragilité est à ce point grande, que le projet de retirer le Haut-représentant de l’UE a été remis en cause, et que les rumeurs de risques de sécessions et de guerre rebondissent ces jours-ci, dans le contexte d’une attente le 10 décembre d’une possible proclamation d’indépendance par le parlement du Kosovo…

Ni sur le plan socio-économique, ni sur le plan du « vivre ensemble la Bosnie-Herzégovine n’est stabilisée.

Voilà pourtant un pays qualifié de « sûr » dans la terminologie de l’OFPRA

III) Aujourd’hui, en France, l’OFPRA ne prend pas la peine d’étudier les demandes d’asile lorsqu’elles proviennent de ressortissants de pays qualifiés de “sûrs”, placés de surcroît dans le cadre des procédures accélérées dites « prioritaires ». La Bosnie en fait partie.

Il faut lire les analyses de critique radicale des ces procédures et de cette notion de « pays sûr » qui sont en soi de purs scandales, basés sur l’arbitraire et l’opacité des critères, contradictoire avec le traitement égal des individus demandeurs d’asile : un citoyen de BH est « par nature » placé devant une procédure expéditive qui ne lui permet aucun examen sérieux – c’est-à-dire notamment sur le terrain – de son dossier, de sa situation.

L’Union européenne a d’ailleurs refusé d’entériner cette notion et la liste de pays “sûrs” que pourtant les autorités française ont « consolidée » Selon Catherine Samary, il faut engager une campagne de dénonciation de cette liste ignoble et intenter des recours devant le parlement européen.

IV – Catherine Samary (CS) a expliqué les politiques de « pompiers-pyromanes » des gouvernements de l’Union Européenne et des Etats-Unis dans la « gestion » de la crise yougoslave et notamment de la guerre en Bosnie-Herzégovine. La discussion sur ce point a porté sur une comparaison avec la guerre en Irak. Pour CS, il y a à la fois des points communs et des différences.

Des points communs : la crise yougoslave a été le tremplin d’un nouvel interventionnisme « humanitaire » voulant « imposer la démocratie », l’ordre néo-libéral et (pour la reconstruction des pays ravagés par la guerre) les multinationales… Le contrôle des Balkans voie de transit pour les approvisionnement en gaz et pétrole fait partie des enjeux…

Des spécificités : La crise yougoslave (avec en 1989-1991 remise en cause à la fois de la fédération, du régime de parti unique et du système titiste de propriété sociale autogestionnaire) est une « transition » entre des phases différentes de l’ordre mondial. La dissolution du Pacte de Varsovie (en 1991) soulève la question de l’avenir de l’OTAN… et la construction européenne est infléchie par la chute du Mur de Berlin…

L’enjeu géo-stratégique spécifique pour les Etats-Unis est d’empêcher que l’Union européenne ne soit une puissance (politique et militaire) autonome de l’OTAN ; de légitimer le maintien de celle-ci et de l’élargir vers l’Est (tous les pays candidats à l’UE sont membres de l’OTAN… détendre leurs bases et leur « droit de circulation » militaire dans les Balkans. Et c’est ce qu’ils obtiennent en pratique…

…Et une gestion évolutive non maîtrisée des conflits et alliances (à la fois peur d’une explosion balkanique incontrôlée – visible dans les craintes de l’effet de domino d’une indépendance du Kosovo ou de l’éclatement de la BH) ; et instrumentalisation évolutive des conflits nationalistes…

V- Dans la discussion sur la traque que subissent actuellement les demandeurs d’asile. CS souligne l’effet désastreux de la politique sécuritaire d’ensemble du gouvernement Sarkozy / Hortefeux avec les « quotas » requis d’expulsions qui produisent une intensification des procédures « expéditives dites « prioritaires », concernant les « pays sûrs » – donc la Bosnie-Herzégovine.

C’est faire peu de cas des profonds traumatismes vécus par les familles, et de l’insécurité de leur retour, selon les « entités » de BH d’où ils viennent. Avec une diversité possible de situations exigeant des examens sur le terrain (voir les problèmes de sécurité, de logements, de scolarisation des enfants selon les communes et « entités » concernées).

Nous ne devons pas décider à la place des personnes concernées et être à l’écoute de leurs demandes : on a un devoir d’asile, avec présomption légitime de traumatismes et d’insécurité dans une situation non stabilisée.

La dégradation sociale considérable associée aux politiques néo-libérales imposées dans la « reconstruction » impose pour le moins qu’on accepte aussi d’accueillir la misère que nos gouvernants ont largement créée…

Il ne faut pas accepter la notion de « pays sûr » ni les procédures expéditives, et exiger de pouvoir aller sur le terrain vérifier ce que sont les conditions du retour – lorsque l’aide au retour est souhaitée par les demandeurs d’asile. Les politiques d’accompagnement doivent pouvoir être mises en oeuvre à l’échelle européenne et française – dans le contexte des politiques d’association à l’UE : le retour des réfugiés issus de la période des guerres n’est aucunement accompli. Il pose des problèmes de logements, d’emplois, de sécurité, de droits… Rien de tout cela n’est compatible avec des procédures sécuritaires aveugles et expéditives…

Pour conclure, CS nous invite à :

– défendre le droit égal pour tous les individus demandeurs d’asile, sans préjugé selon la nationalité d’origine ; refuser les listes de pays « surs » établis par la France en s’appuyant sur les désaccords européens sur ce plan :

– revendiquer des comptes sur la guerre de l’OTAN et les protectorats des Balkans ;

– exiger des fonds publics pour la reconstruction – et non pas des politiques « d’aide » conditionnées aux privatisations…

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