Journaliste, Claude Askolovitch a travaillé notamment au Nouvel Observateur, à Marianne et à Europe 1. Quand il était au Point, il a été chargé d’une enquête sur les musulmans de France qui lui a permis de découvrir une nouvelle composante, riche et contradictoire, de la nation française. Mais ses articles ne convenaient pas au choix de l’hebdomadaire d’attiser les peurs et de reproduire à l’infini les clichés les plus éculés. Licencié, il a voulu lancer un cri d’alarme contre la montée de la haine et du rejet qui se développe, en France, contre ces femmes et ces hommes qui font partie d’elle-même mais qui, au nom d’une éternité française fantasmée, sont perçus comme des « Français de trop ».Une haine et un rejet qui se réfèrent à des idées progressistes, comme la défense de la République, les droits des femmes, la défense des juifs, le respect de l’école ou la liberté des homosexuels. Une haine et un rejet qui se veulent légitimes et républicains, dont les porteurs les plus islamophobes comme Riposte laïque proviennent de la gauche ou de l’extrême gauche, et se réclament de la laïcité. Une haine et un rejet qui encouragent en réalité les dérives intégristes minoritaires qu’elles prétendent combattre : ce n’est pas quand il y a trop de mosquées que celles-ci se développent, c’est quand il n’y en a pas, quand des jeunes sont laissés seuls avec Internet et que certains « divaguent chez les fous ». « La France n’aime pas ses musulmans – elle en a peur et les dénigre, on les oblige à se fondre, à se cacher, à mentir sur eux-mêmes ou à périr socialement, et cela fait vingt-cinq ans qu’elle dure, cette bêtise nationale… », alerte Askolovitch. On invente de « bons musulmans », comme Hassen Chalghoumi et son Association culturelle de musulmans de Drancy, symbole médiatique d’un « islam de France » menacé par l’intégrisme, un « islam modéré », « ami des juifs ». Ce « musulman convenable », protégé par Sarkozy puis Manuel Valls, en réalité plus nationaliste que religieux, sert à véhiculer le soupçon sur tous les autres, sommés de se prononcer sur des actes que des criminels, ailleurs, commettent en se réclamant de l’islam.
Pour l’auteur, l’affaire de Creil (la dénonciation par Alain Finkielkraut et d’autres, en octobre 1989, du « problème du foulard à l’école ») fut « la première crispation du pays » et « nous n’avons pas cessé depuis ». Un « identarisme républicain » a déferlé, portée par Ni putes ni soumises, Charlie Hebdo et feu le Haut Conseil à l’intégration, « une nouvelle idéologie, républicaine de nom, antimusulmane en réalité, qui fait de l’exclusion une valeur de la République ». Quand le Collectif contre l’islamophobie en France a lancé à l’automne 2012 une campagne, il a eu la bonne idée de détourner le tableau de David, Le Serment du Jeu de Paume, en remplaçant les députés du tiers état par des Français d’aujourd’hui, parmi eux des barbus et des femmes portant foulard : la campagne a été interdite par la régie publicitaire de la RATP, qui se targue de lutter contre l’exclusion et le racisme… Le racisme n’est pas seulement à l’extrême droite, chez Marine Le Pen, sa forme actuellement la plus dangereuse est au cœur d’un certain discours laïque et républicain. Ce livre nous aide à en prendre conscience.
Nos mal-aimés
Claude Askolovitch
Grasset, septembre 2013
285 pages, 18 €