Il convient préalablement de rappeler l’avis rendu par la CNCDH le 29 octobre 2001. L’extension des pouvoirs de police prévue par le projet de loi actuel s’inscrit, en effet, dans le cadre des dispositions adoptées par le Parlement, durant la précédente législature, « en vue de renforcer la lutte contre le terrorisme ».
A ce propos, la CNCDH avait indiqué :
« En ce qui concerne les amendements insérant les articles 78-2-2 et 76-1 nouveaux dans le code de procédure pénale, aux fins de permettre, dans certaines conditions, d’une part la visite de véhicules et, d’autre part, des perquisitions au stade de l’enquête préliminaire, la CNCDH considère que le champ d’application de ces procédures dérogatoires au droit commun doit être strictement circonscrit à la lutte contre le terrorisme. A cet égard, s’il est facilement compréhensible que ces dispositions puissent être mises en œuvre aux fins de recherche et de poursuite, non seulement des actes de terrorisme proprement dits mais aussi des infractions en matière d’armes et d’explosifs, il ne paraît pas justifié qu’elles soient étendues, de façon globale, aux « faits de trafic de stupéfiants », lesquels peuvent d’ailleurs couvrir, selon l’un des articles du code pénal auquel il est fait renvoi, la simple détention de stupéfiants. Quelle que soit leur gravité intrinsèque, les infractions en matière de stupéfiants ne sont pas nécessairement liées au financement d’activités terroristes. Le texte des deux amendements devrait donc préciser que, s’agissant des faits de trafic de stupéfiants, les deux procédures dérogatoires susmentionnées ne peuvent être utilisées que lorsque ces faits sont en relation avec la recherche et la poursuite d’actes de terrorisme.
La CNCDH demande que le texte des deux nouveaux articles du code mentionne également que les réquisitions du procureur de la République doivent être précisément motivées.
En ce qui concerne l’amendement relatif à la visite des véhicules, il serait utile de préciser qu’en cas d’absence du conducteur ou du propriétaire du véhicule, la présence d’une personne extérieure – qui représente une garantie – n’est pas requise si la visite peut comporter des risques particuliers « pour cette personne ».
Par ailleurs, on relève que chacun des deux amendements ici examinés comporte un alinéa selon lequel le fait que les opérations de visite de véhicules ou de perquisition ainsi réalisées révèlent des infractions autres que celles dont la poursuite justifiait le recours à ces procédures exceptionnelles, « ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes ». La CNCDH s’inquiète d’une telle rédaction qui, dans sa généralité, absout systématiquement par avance non seulement la découverte fortuite d’infractions autres que celles recherchées, mais aussi, éventuellement, un usage sciemment abusif des procédures dérogatoires. Une telle disposition ne saurait, bien entendu, être admise que sous réserve de la régularité de la procédure dérogatoire elle-même. Mais en outre, considérant que les opérations de fouille de véhicules et de perquisition de locaux ont un impact beaucoup plus large que les contrôles d’identité, à propos desquels l’article 78-2 du code de procédure pénale énonce une règle analogue, la Commission pense qu’il y a lieu de s’interroger sur le principe même de cette « purge » systématique de la nullité des procédures incidentes, du moins, quand il s’agit de la découverte fortuite de délits mineurs.
On rappellera que le gouvernement précédent n’avait tenu aucun compte de ces observations.
Or, le projet qui va être soumis au Parlement accroît considérablement, en son article 5, les pouvoirs des forces de l’ordre en ce domaine.
En premier lieu, ce n’est plus seulement en matière de terrorisme, de trafics d’armes et de stupéfiants que le procureur de la République pourra autoriser les forces de l’ordre à fouiller tous véhicules. Les faits de vol (articles 311-3 à 311-11 du Code Pénal) comme les faits de recel pourront à l’avenir justifier de telles perquisitions, hors tout crime ou délits avérés ou soupçonnés.
En second lieu, ce pouvoir connaît une extension encore plus grande puisque la fouille des véhicules pourra avoir lieu, en dehors même de toutes réquisitions du procureur de la République, si les forces de l’ordre considèrent qu’il existe « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » le conducteur ou un passager « d’avoir commis ou tenté de commettre, comme auteur ou comme complice, un crime ou un délit flagrant ».
En élargissant ainsi les pouvoirs de perquisitions des forces de l’ordre au soupçon contre un conducteur ou un passager en cas de tentative de crime ou délit flagrant, le projet de loi confère à ces dernières un réel pouvoir constant et hors de tout contrôle, d’arrêter tout véhicule.
Le nouvel article 78-2-4 du Code de Procédure Pénale prévoit quant à lui que, pour un motif des plus larges, « prévenir une atteinte à l’ordre public », un conducteur devra se plier à l’exigence de la fouille de son véhicule ou attendre une demi-heure sur place que le procureur de la République donne l’autorisation de fouiller le véhicule.
Enfin, la notion « d’indices » fait place, de manière générale, à la notion de « une ou plusieurs raisons plausibles ». Ainsi que la C.N.C.D.H. l’avait relevé et désapprouvé, cette substitution conduit à accroître les possibilités d’intervention des forces de l’ordre.
Le fait que, dans certains cas, la personne dont le véhicule est contrôlé puisse exiger la rédaction d’un procès verbal ne constitue en rien une garantie des droits individuels. Outre le fait que l’on imagine mal, à l’issue d’une demi-heure de rétention, que quiconque demande la rédaction d’un procès-verbal, il est plus que douteux que les forces de l’ordre aient la possibilité matérielle de le rédiger sur l’instant, sauf à consentir pour la personne contrôlée à un nouveau délai nécessaire à l’établissement de ce procès-verbal. De plus, on ne peut tirer aucune conséquence juridique à l’établissement de ce procès-verbal.
L’ensemble de ces dispositions, qui s’ajoute aux dispositions devenues définitives de la loi du 15 novembre 2001, conduit à considérer que les forces de l’ordre disposeront d’un pouvoir absolu, souverain et sans contrôle de perquisition des véhicules, sans qu’il n’existe une réelle possibilité de faire sanctionner un éventuel abus.
Une telle généralisation du pouvoir de contrôle constitue une véritable atteinte à la liberté d’aller et de venir.
L’extension des fichiers :
Les dispositions de l’article 9 (§2) entraînent la constitution d’un véritable casier judiciaire des mineurs puisque les informations peuvent entrer dans le fichier sans considération d’age.
Elles pourront êtres recueillies, par l’ensemble des forces de l’ordre, dans toute procédure de quelle que nature qu’elle soit, au-delà des contraventions de 5ème classe, mais y compris aussi s’il s’agit « d’un comportement en rapport avec une forme de délinquance organisée ou attentatoire avec la dignité des personnes » (article 7 1er §)
L’entrée d’une personne dans le fichier n’est soumis à aucun contrôle préalable des juges du siège, seul le Procureur territorialement compétent les contrôle. En l’état, ce seront, tant aux termes du projet de loi que pour des considérations pratiques, les forces de l’ordre à qui reviendra la décision d’inscrire telle ou telle personne dans ce fichier.
Toute personne soupçonnée pourra figurer dans ce fichier sans que l’on sache précisément dans quelles conditions elles en seront retirées puisque cela est renvoyé à un décret en Conseil d’Etat. De plus, la durée de conservation des informations est renvoyée à un décret alors qu’il s’agit d’un élément déterminant en matière de libertés publiques. On soulignera, à ce propos, l’absence de parallélisme des formes. Le projet de loi s’attache à définir, de manière très ouverte, les conditions d’entrée dans un fichier mais renvoie à un décret les conditions, pourtant essentielles pour les libertés individuelles, dans lesquelles le retrait du fichier a lieu. S’agissant des libertés individuelles, il ne semble pas que cela relève du domaine du règlement mais bien de la loi.
En outre, il faut relever les obscurités du texte. Si le projet prévoit que les informations inscrites au fichier disparaîtront en cas de relaxe et d’acquittement, il prévoit aussi au dernier § de l’article 9 qu’un décret en Conseil d’Etat fixera les conditions dans lesquelles ces informations disparaîtront des fichiers en cas de non-lieu ou de classement sans suite et l’on ne comprend pas très bien pourquoi ce type de décision est traitée d’une manière différente que la relaxe ou l’acquittement.
Il y aurait quelque paradoxe à considérer qu’une absence de charges doit être traitée d’une manière différente que les décisions de relaxe ou d’acquittement. Il y aurait, surtout, à retenir cette démarche, une véritable atteinte à la présomption d’innocence.
C’est toujours par décret que seront fixées les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre pourront avoir accès à ce fichier en matière de police administrative ou de sécurité. La LDH relève d’abord que la notion de « police de sécurité » est étrangère à la traditionnelle distinction entre police administrative et police judiciaire. L’absence de définition de cette notion de sécurité permet toutes les extensions réglementaires possibles dans un domaine qui, touchant aux libertés individuelles, doit s’inscrire dans un cadre limité et fixé par la loi.
Constatant que ces fichiers pourront être consultés (aux termes de l’article 13 du projet), dans de nombreux cas de recrutement nécessitant une décision administrative, la LDH constate qu’un fichier d’une telle ampleur, dont l’essentiel des dispositions pouvant constituer des garanties des libertés individuelles est retiré de la délibération législative, peut conduire à de graves atteintes aux libertés individuelles et à des interdictions professionnelles.
Les informations figurant dans ce fichier pourront être transmises sans contrôle des juges à d’autres services de police étrangers ou à des organismes de coopération internationale en ce domaine. Les restrictions apportées en ce domaine ne permettent nullement d’écarter le risque que ces informations n’aboutissent, in fine, entre les mains de services ne respectant pas les normes françaises minimales en cette matière.
Il faut que :
· Que la loi soumette au contrôle d’un juge du siège la décision de mentionner une personne dans ces fichiers.
· Que les faits concernant les mineurs soient retirés de plein droit à leur majorité.
· Que la notion de police de sécurité disparaisse de la loi
· Que les critères d’acquittement, de relaxe, de non-lieu et de classement sans suite pour défaut de charges soient traités sur le même plan.
· Que la loi fixe de la même manière les conditions d’entrée et de sortie des fichiers et la durée de conservation des informations sans que celle-ci puisse dépasser une durée raisonnable.
Augmentant les cas d’entrée dans un fichier, le projet accroît aussi le type de fichier puisque les mêmes mesures autorisent, avec les mêmes extensions (à l’exception de certains délits financiers), l’entrée dans un fichier génétique, jusque-là réservé aux seuls délinquants sexuels.
Ce traitement n’est plus réservé aux personnes simplement soupçonnées mais aux personnes « concernées » par une procédure, c’est-à-dire et y compris un simple témoin même pas suspecté et ce à une peine de 2 ans de prison (6 mois en cas de délit) et d’une forte amende.
On relève qu’en cas de refus d’une personne soupçonnée d’un délit de laisser relever son empreinte génétique, celle-ci est passible d’une peine de 6 mois de prison et de 7.500 € d’amende. On constate aussi que si une personne a été condamnée pour crime et oppose le même refus, elle devient passible d’une peine de deux ans de prison et de 30.000 € d’amende.
Il s’agit là d’une véritable atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi qui n’a aucune justification.
On peut réitérer à propos du fichier des empreintes génétiques les mêmes observations que ci-dessus.
Au total, la LDH observe que le projet soumis au parlement implique que le nombre de personnes fichées, et n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation, soit démultiplié par un facteur très important. A tenir compte du nombre d’infractions commises annuellement en France, et en tenant compte des personnes qui peuvent y être concernées (victimes, témoins, personnes suspectées et, in fine, personnes coupables), ce sont au moins 15 à 20 millions de personnes qui seront fichées. C’est pourquoi le but recherché par le projet gouvernemental n’est pas justifié au regard des risques que font nécessairement courir aux libertés individuelles la constitution de bases de données d’une telle ampleur.
La création de nouveaux délits
Le projet de loi crée de nouveaux délits :
* Le racolage, commis par un(e) prostitué(e) ou un client, devient un délit puni de six mois de prison et d’une amende.
* Le fait d’obtenir des relations sexuelles contre remise ou promesse d’argent d’une personne particulièrement vulnérable est puni des même peines que le recours à la prostitution des mineurs.
· L’occupation en vue d’établir une habitation d’un terrain d’une commune, qui aurait respecté les dispositions de la loi du 5 juillet 2000 est punie de 6 mois de prison, de 3.750 € d’amende ainsi de que la confiscation du véhicule et/ou la suspension du permis de conduire. La référence à des véhicules, comme la référence à la loi du 5 juillet 2000 atteste que ce sont les gens du voyage qui sont visés par ces dispositions.
· La présence dans les halls d’immeubles est sanctionnée de deux mois de prison et d’une amende de 3 750 €
· La mendicité en réunion, c’est-à-dire à partir de deux personnes, et pratiquée de manière agressive est punie de six mois de prison et d’une amende de 3 750 €.
· L’exploitation et l’organisation de la mendicité sont réprimées par trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. Cette peine est portée à 5 ans et à 75 000 € d’amende si les faits sont commis à l’égard de personnes ou de personnes particulièrement fragiles.
· La carte de séjour temporaire peut être retirée à un étranger s’il a commis des faits justifiables de poursuites pénales.
* Il peut être mis fin à un visa régulièrement délivré à un étranger si le comportement de celui-ci a constitué une menace pour l’ordre public.
Le projet modifie en outre les dispositions de l’actuel article 433-3 du Code Pénal. Le régime de la répression des menaces est étendu à tout fonctionnaire et à toute personne en charge d’une mission de service public, quel qu’il soit, y compris à l’égard des membres de sa famille. Les gardiens d’immeubles sont aussi concernés.
On peut dire que la répression de l’organisation et de l’exploitation de la mendicité comme le recours à des prostitués particulièrement vulnérables peuvent répondre aux buts recherchés par le gouvernement.
La LDH s’inquiète des autres dispositions du chapitre 6 du projet de loi.
Les dispositions réprimant le racolage actif et passif risquent de conduire à un déplacement de la prostitution vers des modes d’exercice moins visibles mais donc aussi moins contrôlables et moins sécurisées pour les prostitués.
Elle s’interroge, en outre, sur l’applicabilité de cette mesure, dès lors que l’organe de poursuite aura à établir l’existence d’une rémunération, et a fortiori, d’une promesse de rémunération, deux éléments constitutifs du délit. Cette preuve sera extraordinairement difficile à établir.
De plus, la LDH s’étonne du sort réservé aux prostitués d’origine étrangère. Ces personnes sont les victimes de réseaux extrêmement violents, qui peuvent aller jusqu’à menacer les familles, à l’étranger, des prostitués qu’ils exploitent. Lier, dans ces conditions, la remise d’un titre de séjour, fût-il provisoire, à un témoignage ou au dépôt d’une plainte, nécessairement immédiat compte tenu de la rédaction de l’article 29 du projet, revient, de l’avis de tous ceux qui aident ces personnes, à s’interdire de recueillir leurs témoignages.