Communiqué conjoint cosigné par plusieurs organisations, dont le REMDH, l’AEDH et la FIDH
Le 5 décembre les représentant(e)s de l’UE, de ses États membres et de la Tunisie vont signer un « partenariat pour la mobilité ». Ce serait le sixième accord de ce type après ceux conclus avec d’autres pays, comme le Maroc. Il y a un an, presque jour pour jour, un nombre de nos associations interpellaient les autorités signataires pour leur demander de garantir, dans le cadre des négociations qui allaient être entamées, le respect des droits fondamentaux des personnes migrantes, des demandeurs d’asile et des réfugiés.
Plusieurs raisons nous laissent craindre que cet appel n’ait pas été entendu.
D’une part, la société civile n’a pas été associée au processus de négociation, alors que les enjeux de ce partenariat font partie de leurs actions quotidiennes en matière de protection des droits humains.
D’autre part, la situation des migrants et des réfugiés en Tunisie ne cesse d’être très préoccupante, en particulier celle des femmes et des enfants. Après la fermeture du camp de Choucha, présentée comme une solution définitive aux problèmes de l’accueil des demandeurs d’asile en Tunisie, nombreux sont encore les hommes et les femmes qui ne bénéficient d’aucun droit en matière de séjour, de travail, d’accès aux droits sociaux, et ce malgré les déclarations répétées des autorités tunisiennes. La Tunisie n’ayant toujours pas adopté une législation sur l’asile, la seule présence du HCR ne permet pas de garantir l’accès à une protection internationale pour celles et ceux qui devraient pouvoir en bénéficier.
En contradiction avec le processus de transition démocratique, la criminalisation des entrées irrégulières se poursuit, et les personnes migrantes, qui n’ont pas accès à une représentation légale ou aux garanties juridiques fondamentales, peuvent être maintenues jusqu’à un an en détention préventive avant d’être expulsées. De plus, la criminalisation par la Tunisie des Tunisiens et Tunisiennes pour le « délit d’émigration clandestine » se poursuit à l’heure même où le Conseil de l’Europe réaffirme, sur la base des textes internationaux, « le droit de toute personne à quitter son pays ».
Enfin, les dispositions de ce « partenariat pour la mobilité » ne comportent pas de réelles possibilités pour les citoyens tunisiens d’entrer et de séjourner dans l’Union européenne. Il se limite à prévoir des facilités de délivrance de visas aux catégories de personnes les plus privilégiées et/ou qualifiées, et laisse miroiter, sans perspectives concrètes, une lointaine possibilité de travail, ce qui semble bien peu au regard des obligations imposées par ailleurs à la Tunisie : le contrôle renforcé des frontières, la coopération avec Frontex, la signature d’un accord de réadmission….
Dans ce contexte extrêmement inquiétant, nos organisations demandent à l’UE et à la Tunisie de traduire en actions tangibles leurs engagements à promouvoir et protéger les droits de l’Homme et à favoriser la liberté de circulation de tous les ressortissants tunisiens. Aucun partenariat dit de « mobilité » ne doit être signé tant que les droits des migrants et des réfugiés ne sont pas garantis.
En conséquence, nos organisations exhortent :
– la Tunisie :
1. à adopter un moratoire pour toutes les négociations et l’application de tous les accords migratoires avec l’Union européenne et ses pays membres qui violeraient les droits des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile, et qui seraient contraires aux traités internationaux ratifiés par la Tunisie et les États membres de l’UE ;
2. en tout état de cause, à refuser tout accord de réadmission avec l’UE et/ou ses États membres ;
3. à consulter les organisations de la société civile de Tunisie sur la politique migratoire du pays et ses accords bilatéraux et internationaux à ce sujet ;
4. à adopter des lois sur l’asile et les migrations qui garantissent les droits des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés, en conformité avec les traités internationaux ratifiés par la Tunisie, et bannissent toutes les formes de discrimination et d’exclusion aux dépens de ces populations ;
5. à s’opposer à l’expulsion et à l’enfermement des migrants en Europe et à mettre un terme à l’enfermement et les expulsions de migrants en Tunisie en violation des dispositions pertinentes du droit international des droits de l’Homme ;
6. à supprimer les sanctions prévues en cas d’entrée, de séjour ou de sortie non autorisés, et à abroger, sans délai, la loi du 3 février de 2004 qui criminalise les migrants en violation des traités internationaux ;
7. à ratifier la Convention internationale relative à la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles ainsi que les Conventions de l’Organisation internationale du travail No. 97 et 143 sur les travailleurs migrants.
– l’Union européenne :
1. à corriger profondément ses politiques migratoires, actuellement basées sur une approche sécuritaire et l’externalisation des contrôles migratoires ;
2. à mettre fin à sa politique de détention de migrants irréguliers, qui constitue une violation des droits de l’homme ;
3. à suspendre les négociations sur les migrations avec la Tunisie jusqu’à ce que cette dernière soit dotée d’autorités stables, d’une assemblée parlementaire élue dotée de toutes les prérogatives concernant ces domaines, et qu’elle respecte et protège les droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile, y compris en adoptant une législation sur les migrations conforme au droit international ;
4. à exclure la clause de réadmission de tous les partenariats et accords signés avec la Tunisie, compte tenu des nombreuses violations des droits des migrants et des demandeurs d’asile qui entachent l’application des procédures de réadmission, pénalisent l’entrée « illégale » en Tunisie et la sortie du pays, et exposent les ressortissants de pays tiers au risque de refoulement ou d’expulsion ;
5. à élaborer une politique de coopération basée sur l’application concrète de l’approche « donner plus pour recevoir plus » (donnant-donnant) qui vise à soutenir le progrès démocratique et renforcer la protection des droits de l’Homme, en particulier des droits des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile dans les pays tiers ;
6. à s’engager sur une politique de mobilité réelle pour les Tunisiens, qui ne se limite pas à un cercle restreint de privilégiés mais concernerait tous les ressortissants de ce pays ;
7. à ratifier la Convention internationale relative à la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles et à encourager ses états membres à le faire ;
8. à faire respecter les droits des femmes et enfants réfugiés et les protéger contre la traite des êtres humains selon le protocole de Palerme de 2000 ;
9. à associer les organisations de la société civile européenne et tunisienne dans le cadre de tout accord concernant la politique migratoire, autant pendant sa négociation que dans le cadre de son application.
Tunis, Paris, Copenhague, Bruxelles, le 3 décembre 2013
Signataires :
Organisations tunisiennes
Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT)
Ligue Tunisienne des droits de l’Homme (LTDH)
Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD)
Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES)
Coordination des assises de l’immigration tunisienne (CAIT)
(FTCR – ADTF- UTIT – AIDDA – COLLECTIF 3C – UTAC – ZEMBRA – ATNF – ATML – FILIGRANES – ACDR – UTS – CAPMED – CFT – YOUNGA)
Organisations internationales
Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH)
Association Européenne pour la défense des droits de l’Homme (AEDH)
Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH)
Migreurop