Réponse de Lionel Jospin
ETRANGERS
Entendez-vous mettre un terme au régime des visas de court séjour ?
Non. Les visas de court séjour ont leur utilité : ils permettent à ceux qui le souhaitent de passer quelques jours ou quelques semaines en France. Il n’est donc pas souhaitable de supprimer ce dispositif. Je ne suis en revanche pas opposé à la suppression de l’obligation de visas pour les ressortissants de certains pays, lorsque cela est possible, sur la base de la réciprocité. Il serait également légitime de simplifier les démarches administratives pour les étrangers qui sont amenés à venir plusieurs fois en France, pour des raisons personnelles ou professionnelles, en facilitant l’obtention de visas à entrées multiples.
Entendez-vous mettre en œuvre l’avis de la CNCDH du 6 juillet 2001 préconisant la fusion en une seule procédure d’instruction des demandes d’asile par une autorité réellement indépendante, y compris encas d’urgence, et le fait que tout refus d’entrée puisse faire l’objet d’un recours suspensif ?
J’accorde la plus grande importance aux avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme qui fait un travail remarquable sous la direction du président Bacquet. Je connais les difficultés des structures administratives qui sont chargées de se pencher sur les demandes d’asile. Je les crois toutefois indépendantes et le contrôle qui est assuré par le Conseil d’État est satisfaisant. Il faut améliorer la procédure d’instruction des demandes sur deux points : raccourcir les délais d’instruction ; et permettre un entretien plus systématique avec le demandeur, afin de mieux respecter ses droits.
Depuis 1991, les demandeurs d’asile ne peuvent plus exercer d’activité professionnelle durant l’instruction de leur demande. Ceci entraîne de graves problèmes sociaux que les délais d’instruction ne cessent d’augmenter. Êtes-vous prêt, d’une part, à mettre en œuvre d’urgence les moyens nécessaires pour accueillir les demandeurs d’asile dans des conditions décentes et traiter leurs dossiers dans des délais raisonnables ; d’autre part, êtes-vous prêt à rétablir en faveur des demandeurs d’asile le droit de travailler, au moins dans les conditions prévues par le projet de directive européenne ?
L’accueil des demandeurs d’asile a fait l’objet de plusieurs rapports dénonçant des conditions difficiles. Depuis 1997, mon gouvernement a dégagé des moyens importants pour améliorer la situation. Il faut continuer en ce sens. Comme je l’ai indiqué en réponse à votre question précédente, je souhaite raccourcir les délais d’instruction. Pour cela, il faudra renforcer les effectifs de l’OFPRA de manière à traiter les dossiers dans un laps de temps correct et ne pas condamner les demandeurs d’asile à demeurer dans la précarité. Par ailleurs, si deux mille places d’hébergement en centre d’accueil (CADA) ont été créées récemment, c’est encore nettement insuffisant et il faut poursuivre cet effort.
Le droit de travailler au bout de six mois de procédure avait été supprimé en 1991 compte tenu de la réduction importante des délais de traitement des dossiers et de la réponse plus rapide alors apportée aux demandes d’asile. L’évolution du contexte, tant français qu’international, demande que soit à nouveau étudiée cette question. C’est là, d’ailleurs, une proposition de la Commission européenne. Je suis prêt à l’examiner sur cette base.
Nombre de demandeurs déboutés de leurs demandes d’asile ne peuvent pour autant être éloignés notamment en application de l’article 3 de la CEDH. Êtes-vous d’accord pour que leur situation soit alors régularisée et qu’il leur soit délivré un titre de séjour et de travail ?
J’ai combattu la logique des lois Pasqua qui multipliaient les étrangers en situation irrégulière qui pourtant ne pouvaient être reconduits à la frontière. Lorsqu’une personne n’a pas obtenu le statut de réfugié mais que l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme interdit la reconduite à la frontière, on se retrouve dans le même cas de figure : situation irrégulière mais inexpulsabilité. Le futur gouvernement devra trouver une solution à cette situation inextricable, difficilement acceptable au plan humain.
Entendez-vous promouvoir activement au sein de l’Union Européenne une politique qui aille dans le sens d’un plus grand respect du droit d’Asile, notamment en renonçant au concept de « pays tiers d’origine sûr », en modifiant la convention de Dublin qui prive le demandeur d’asile du choix du pays dans lequel il souhaite se réfugier et en vous opposant à la mise en place d’un système de fichage qui tend à assimiler les demandeurs d’asile à des délinquants ?
Une harmonisation européenne du droit d’asile est indispensable dans une Europe où les frontières disparaissent alors que les événements dramatiques caractérisent toujours plus la situation politique et économique mondiale. L’objectif doit d’obtenir cette harmonisation d’ici 2004. Des principes forts ont été retenus lors du conseil européen de Tampere : respect absolu du droit d’asile et du principe de non-refoulement, nécessité de décisions équitables et rapides, partenariats avec les pays d’origine, limitation des mouvements secondaires, respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Plusieurs projets de directives sont en cours dont un règlement sur la responsabilité de l’examen des demandes d’asile et des propositions relatives au droit substantiel. Les questions de procédure sont abordées très précisément : détermination de l’État membre responsable des procédures de demandes, dispositions en matière de droits sociaux, d’enseignements et d’emploi, garanties procédurales, réglementations en matière de retour, etc.
Entendez-vous mettre un terme aux interdictions du territoire français ordonnées par les tribunaux de l’ordre judiciaire ? Entendez-vous rétablir le rôle de la commission d’expulsion dont l’avis négatif doit lier le Ministre de l’Intérieur et conférer un caractère suspensif à tous les recours en ce domaine ?
La double peine pose des problèmes de respect des droits de l’Homme dès lors que la personne, qui n’a pas la nationalité française, a sa vie en France. La Commission de réflexion mise en place par mon gouvernement en 1999 et dirigée par Mme Chanet, magistrate de la Cour de cassation, parle de véritables bannissements pour certaines peines d’interdiction du territoire. C’est en suivant ses conclusions que je propose qu’il ne soit plus possible de prononcer une interdiction du territoire ou une expulsion dans certaines situations spécifiques: personnes entrées avant l’âge de 10 ans en France et y séjournant depuis, personnes séjournant depuis plus de 15 ans en France et y ayant ses attaches familiales (sauf en cas de terrorisme ou de crimes particulièrement graves).
Entendez-vous mettre un terme au refoulement des mineurs étrangers isolés arrivant en France ?
Je suis préoccupé par ce sujet. L’arrivée des mineurs isolés est un phénomène difficile à apprécier, mais qui paraît s’accentuer depuis trois ans. C’est 849 mineurs qui ont sollicité leur admission au titre de l’asile en 2001, environ 3000 seraient effectivement entrés par des moyens divers. Ils ont des histoires personnelles diverses : fuite de pays en guerre ou de camps de réfugiés pour certains, contournement du regroupement familial pour rejoindre un membre de la famille pour d’autres, fugues, victimes de réseaux criminels… Tous les cas de figure existent, mais tous sont dramatiques.
Ce qui doit primer est la protection de l’enfance : un mineur isolé est avant tout, par définition, un mineur en danger et n’est pas juridiquement capable. C’est en ce sens que mon gouvernement a déposé un amendement à la loi sur l’autorité parentale en novembre 2001. Cet amendement prévoit de nommer un administrateur ad hoc pour défendre les intérêts de l’enfant, assurer sa protection et le représenter juridiquement. On peut alors examiner son dossier d’asile. Cet examen doit être fait dans le sens de l’intérêt de l’enfant. Dans certains cas, son intérêt, c’est un retour auprès de ses parents.
Entendez-vous faire adopter d’urgence la réforme constitutionnelle permettant aux étrangers non européens de voter aux élections locales ?
Je propose d’instituer le droit de vote aux élections municipales pour les étrangers régulièrement installés en France depuis plus de cinq ans. Cette « citoyenneté de résidence » constitue une étape importante de la démocratie locale. En effet, ces résidents étrangers participent à la vie de leur quartier, y scolarisent leurs enfants, utilisent les services publics locaux et contribuent à leur financement . Ils doivent donc pouvoir influer sur la vie de leur cité. Dans l’année qui suivra les élections, je proposerai aux Français cette réforme, parmi un ensemble de propositions sur la citoyenneté et la démocratisation de la vie du pays, qu’il leur appartiendra de trancher par voie de référendum.
Entendez-vous procéder à la régularisation des sans papiers ?
Fondée sur les valeurs de la République, une nouvelle politique de l’immigration a été mise en place par mon gouvernement. La circulaire de régularisation de 1997, puis la loi RESEDA du 11 mai 1998, ont permis à des dizaines de milliers de personnes de trouver la sécurité juridique dont ils avaient besoin pour mener une vie normale et sortir de la clandestinité à laquelle ils avaient été auparavant condamnés. La loi RESEDA a notamment veillé à la prise en compte de la vie personnelle et familiale (mettant ainsi en conformité notre législation avec l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme), à la facilitation de l’installation des résidents en situation régulière (fin de certaines tracasseries administratives, titres de séjour spécifiques pour faciliter les échanges internationaux) et à un meilleur respect des droits des étrangers. Toute personne répondant aux critères de la loi RESEDA peut voir régularisée sa situation administrative. Je souligne en particulier que la loi RESEDA contient un dispositif de régularisation automatique : toute personne résidant en France depuis plus de dix ans, même en situation irrégulière, a droit à un titre de séjour.
Entendez-vous dépénaliser le séjour irrégulier ?
Non. Il n’est pas pour moi envisageable de revenir sur le caractère délictuel du séjour irrégulier. En pratique, toutefois, les parquets ne poursuivent pas le seul séjour irrégulier. Mais il s’accompagne le plus souvent d’autres infractions et il faut pouvoir le poursuivre.