Dans la lettre d’information de la LDH de septembre 2012, Malik Salemkour, vice-président de la LDH, brise quelques idées reçues malheureusement répandues sur les RomsUne invasion ?
Depuis 2010, 10 à 13 000 Roms roumains et bulgares ont été expulsés annuellement, remplissant un bon tiers de l’objectif fixé par le Gouvernement avec sa politique du chiffre. Depuis plus de dix ans, ils sont pourtant toujours entre 15 et 20 000 en France. Ces renvois forcés dans leur pays sont de fait inefficaces concernant presque toujours les mêmes personnes. Comme tous les autres citoyens européens, ils bénéficient depuis le 1er janvier 2007 de la libre circulation au sein de l’Union. Aussi, ceux qui ont été renvoyés reviennent rapidement, ayant leur projet de vie désormais ici. Reconnus comme minorités nationales dans leur pays, les Roms sont estimés à 2 millions en Roumanie et 800 000 en Bulgarie. Les Roms migrants sont donc ultra minoritaires, l’essentiel demeurant dans leur pays d’origine. Si tous voulaient venir, ils le pourraient aisément et seraient déjà là… D’autres réponses sont à donc à trouver pour ces quelques milliers présents en France.
Leur ouvrir le marché du travail va créer un appel d’air !
Lors du traité d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, les Etats pouvaient décider d’appliquer jusqu’au 31 décembre 2013 des mesures transitoires limitant l’accès à l’emploi des ressortissants de ces deux nouveaux européens, choix que la France a fait. Ils ont donc la liberté de venir mais pas celle de travailler, les maintenant dans la précarité, alors qu’un slovaque, un polonais ou un hongrois peut travailler en France sans aucune contrainte et ceci sans vague d’immigration constatée. La levée partielle de ces mesures annoncée fin août 2012 par le Gouvernement supprime la taxe d’au moins 700 € que l’employeur devait payer à l’embauche et élargit la liste des métiers ouverts mais maintient de manière dérogatoire le principe de l’autorisation préfectorale avec ses délais administratifs, en pratique de plusieurs mois, et les politiques connues de guichet. L’Irlande et l’Italie, malgré une situation économique bien plus difficile que la France, ont abrogé ces mesures transitoires et n’ont pas connu d’arrivées significatives de roumains ou de bulgares. C’est l’enjeu pour les quelques milliers déjà présents qui auraient ainsi accès à des ressources régulières et à la formation professionnelle favorisant une insertion sociale autonome.
Que font la Roumanie et la Bulgarie pour les intégrer (traduire : les garder chez eux) ?
Sous utilisés, des fonds importants de l’Union européenne sont disponibles pour favoriser l’insertion des minorités roms dans leur pays, mais cela nécessite des moyens financiers nationaux complémentaires aux fonds européens, des pouvoirs publics volontaires et des porteurs de projets compétents. Il faut rappeler que les Roms représentent plus de 10% de la population totale en Roumanie et Bulgarie. Ils sont souvent dans des situations sociales, scolaires et d’habitat dramatiques, conjuguées à des discriminations et à un racisme séculaire. Le chômage, les mutations profondes de l’agriculture et de l’industrie, l’exode rural, les bidonvilles frappent ces deux pays en crise économique majeure et qui sont en pratique sous tutelle du FMI et de la BCE. Des coupes très importantes ont été opérées dans les budgets publics, particulièrement dans l’action sociale et les investissements de développement urbain. La décentralisation est encore partielle et difficilement opérante sur les populations précaires, la vie associative émergente et inégalement répartie sur le territoire. La solidarité européenne est donc à renforcer particulièrement en matière de coopérations décentralisées pour accompagner les pouvoirs publics nationaux et locaux comme les acteurs privés à lutter contre l’exclusion et favoriser l’égalité des droits de leurs minorités.
Le démantèlement des bidonvilles en France est une priorité ?
Cela fait 10 ans que dans le cadre d’une chasse aux Roms assumée, l’Etat a donné la priorité aux évacuations ciblées des terrains sur lesquels survivent ces citoyens européens dans les grandes agglomérations françaises. Ces expulsions successives de lieux de vie ne font que déplacer les problèmes sur d’autres territoires, accroissant la précarité de ces familles, cassant les quelques liens créés avec les services sociaux et les associations solidaires de ces familles, travaillant sur la scolarisation des enfants, le suivi sanitaire notamment des jeunes femmes… Si la loi protège la propriété et autorise l’évacuation des occupants sans droit ni titre, elle pose aussi le droit à un habitat digne comme la protection des mineurs et des familles. Les pouvoirs publics ont donc la responsabilité de ne laisser personne à la rue sans proposition de prise en charge et d’accompagnement social. Le candidat François Hollande avait écrit à la LDH et à Romeurope qu’il n’y aurait plus d’évacuation sans solution. La circulaire interministérielle du 26 août 2012 sur l’anticipation et l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites va dans ce sens et fixe les orientations du nouveau Gouvernement. Elle a été obtenue après une forte dénonciation des démantèlements des terrains réalisés durant l’été sans proposition d’alternative, et dans la continuité des politiques sécuritaires engagées avant le changement de majorité politique. Il reste donc sur le terrain à voir la mise en oeuvre effective de ces nouvelles orientations. Seule la stabilisation de ces personnes aidera à des solutions durables.
Un « problème Rom » ?
La stigmatisation de ces ressortissants européens pauvres les a abusivement et injustement mis en lumière. D’après la Fondation Abbé Pierre, 280 000 personnes vivent en France en squats, bidonvilles ou autres abris de fortune, parmi lesquels ces 15/20 000 Roms migrants. C’est dans le cadre général de la lutte contre l’exclusion que doivent être travaillées des solutions, avec un traitement individualisé et territorialisé. Il n’est pas de réponse nationale, collective, spécifique ou ethnique à trouver, mais seulement de droit commun selon les particularités de chaque territoire en matière d’habitat. Il manque plus de 80 000 places en hébergement d’urgence et d’insertion qui sont des structures nécessaires à tous ceux qui n’ont pas de ressources suffisantes ou régulières. Ce déficit de places est particulièrement fort dans les grandes villes françaises. Augmenter les capacités d’accueil en hôtels sociaux, pensions de familles, centres d’hébergement et de réinsertion sociale, appartements relais est une priorité pour répondre à des besoins sociaux durables, parallèlement au développement plus que nécessaire de l’offre de logements sociaux ou privés à loyers accessibles aux plus démunis. Ces Roms sont à traiter avec les mêmes droits et les mêmes obligations que les autres citoyens européens vivant en France. Il ne s’agit pas de leur donner un emploi, mais de ne pas les empêcher de travailler quand ils ont une promesse d’embauche. Il ne s’agit pas de leur donner un logement, mais de refuser qu’ils vivent dans des conditions indignes et insupportables en les orientant vers des structures prévues pour accueillir toutes les personnes précaires. Il ne s’agit plus de voir des Roms, mais un homme, une femme, un enfant, libres et égaux en droit et en dignité.