La section de Toulouse, après le choc de l’explosion, souhaite vous donner quelques informations.
27 jours après l’explosion du hangar 221 de l’AZF, ce samedi 12 octobre, la situation toulousaine s’éclaircit un peu : avec un peu de distance, on peut mesurer l’ampleur des dégâts et tenter un état des lieux au regard des droits économiques et sociaux et des discriminations qui « pointent le nez ».
Comme vous le savez, ce sont les quartiers à populations modestes, voire fragilisées qui sont majoritairement touchées : Le Mirail (Reynerie plus que Bellefontaine), Empalot (la cité ouvrière Daste mais aussi les petites maisons anciennes des retraités d’AZF – ex ONIA), ainsi que Bagatelle, La Faourette, Papus, quartiers de retraités, employés et cadres moyens.
Quelques chiffres pour donner une idée des dégâts :
– 26 000 logements touchés dont 11 000 gravement (ce qui signifie : fenêtres arrachées, plafonds et cloisons fissurés ou effondrés, mobilier dévasté par les projections de verre et le souffle de l’explosion). Oui, il y a beaucoup de gens qui ont tout perdu.
– Familles déplacées : au milieu de la deuxième semaine d’octobre, il restait 400 familles hébergées dans des gymnases et centres de loisirs (vous y vivriez, vous, pendant 3 semaines, avec femme et enfants sur des lits de camp dans un gymnase, nourri par des associations humanitaires ?) dont 100 familles seulement viennent d’être relogées dans des mobil-homes (des neufs mais aussi ceux de la Somme inondée), mais loin de tout (à l’entrée d’un golf dans la zone verte sud). Et les 300 autres, quand ? La mairie a pris un arrêté de réquisition de logements, dont on attend l’application : la tension monte…
– Mais les autres ? Quels autres ? Les 800 familles ou personnes seules hébergées par solidarité par des particuliers… oui, généreusement, mais pour un temps limité : or, on annonce 6 mois à deux ans de travaux… au moins l’hiver. La solidarité des hébergeants tiendra-t-elle jusque là ?
– D’autres qui sont revenus malgré tout dans leur appartement, leur maison (certaines finissent de s’effondrer), ont les fenêtres absentes et remplacées par du plastique ou occultées par du bois : on leur dit d’attendre, les experts sont passés, les artisans sont débordés, les assurances n’ont pas encore payé. Et quand il s’agit d’une co-propriété ou d’un OPHLM… bonjour les délais !! Blocages… et déprime après traumatisme.
– Autre chiffre : 5000 personnes n’ont pas repris leur travail à E+27, soit parce que les entreprises sont fermées par décision administrative, soit car elles sont détruites ou très endommagées. La SEMVAT a perdu 100 bus, 14 lignes sont toujours non desservies, l’Hôpital psychiatrique a arrêté de fonctionner sur le site (à 100 m d’AZF) et a dispersé ses malades… et les personnels qui les suivent sur le grand sud-ouest (Lannemezan, Lavaur, Limoux…) ne gardant que les urgences ouvertes à l’hôpital Purpan (5 lits pour 20 demandes selon les médecins). De nombreuses entreprises artisanales (500) ne s’en relèveront pas. En plus du choc physique, des blessés, des perspectives sombres sur leurs revenus, sur l’emploi…
– Des morts (officiellement 29, certains disent bien plus… la liste s’allonge de ceux qui sont décédés depuis), des blessés graves : 800. Quelles blessures ? « De guerre » disent les médecins : jeunes des lycées techniques aveugles, amputés, jeunes enfants « hachés » par les lames des baies vitrées, tympans percés, rate ou poumons éclatés par le souffle, et surtout, surtout : le choc psychologique. Il provoque, même plusieurs jours après, peurs irraisonnées, insomnies, perturbations au quotidien (désorientation, incapacité à se concentrer …), arrêts de travail plus nombreux à présent, même chez ceux qui étaient loin du lieu de l’explosion. Traumatisme chez beaucoup de jeunes (« c’est comme si c’était la guerre »).
Quelles conséquences?
– Des rumeurs, des dérapages verbaux (« au moins, ça aura eu pour effet de chasser les fous ! », « c’est pas plus mal qu’on les surveille de plus près, les gens de ces quartiers »…), des propriétaires qui risquent la réquisition pour les populations pauvres ou d’origine immigrée : « on veut pas de ça chez nous »…
– place libre aux humanitaires : distribution d’argent à 32 000 sinistrés (2000, 3000 F ou plus selon la composition de la famille) mais aussi de nourriture, couvertures, vêtements, tickets de transport gratuit… incohérences dans la distribution : chacun sa manière (chèques envoyés au domicile ou remis en main propre, distribution en nature, bons d’achat, soutien psychologique, cellules de crise, échanges de services…). On voit de tout : personnes résignées qui attendent tous les jours tout l’après-midi leur chèque, personnes énervées, excédées par la lenteur des opérations mais aussi personnes choquées qui refusent, malgré les risques et les dégâts de quitter leur appartement de peur de ne plus en retrouver, d’en être chassés. Contrôle social des humanitaires qui s’intensifie avec porte-à-porte, fiche nominative, vérification, de la part de bénévoles, chaleureux certes, mais maladroits dans l’explication. Les populations, en particulier celles qui sont totalement démunies acceptent toute investigation, voire intrusion, sans réagir, sans demander pourquoi.
Et maintenant, critères évolutifs ou distribution selon l’humeur du bénévole qui évalue sur le champ combien donner… La cohésion sociale est en danger ! L’arrivée massive d’argent est venue saboter le travail de fonds que les travailleurs sociaux accomplissaient depuis des années dans ces quartiers : retrouver ses droits et sa dignité, avoir prise sur sa vie et décider par soi-même, construire un projet pour sa famille, ses enfants…
– Côté discriminations raciales, sur le périmètre de l’explosion, mais particulièrement quand cela « recoupe » les quartiers « sensibles », c’est vigipirate doublé ! Des cars de CRS en stationnement, des parachutistes avec PM devant les commissariats, des contrôles au faciès avec rudesse parfois, nous a-t-on signalé. Bien sûr, il y a eu les « vautours » dixit la police, mais dans les deux jours suivant l’explosion (quelques comparutions immédiates lourdement sanctionnées). La poursuite d’une situation de « couvre-feux » se justifie-t-elle encore? Si les habitants « vertueux » se sentent sécurisés, les effets pervers de la situation de surveillance renforcée se font sentir : suspicions infondées, propos racistes, stigmatisation de certains jeunes…
La LDH se tient vigilante par rapport à des dérapages possibles. Elle s’informe auprès de son réseau pour actualiser son action. Elle tient à réaffirmer que la situation d’urgence ne doit pas avoir pour effet de « secondariser » les droits des personnes : droits économiques et sociaux, droit au respect de la vie privée, droit de non discrimination.
Toulouse, le 12 octobre 2001
Ligue des droits de l’Homme
Section de Toulouse
1, rue Joutx-Aigues
31000 TOULOUSE
Tél.: 05 62 26 69 19
E-mail : ldh31@wanadoo.fr