Lettre ouverte au Président de la République
Monsieur le Président de la République,
Une proposition de loi visant à déconjugaliser l’Allocation Adultes Handicapés (AAH) va être examinée en 2ème lecture au Sénat à partir du 6 octobre, après le passage en force du gouvernement à l’Assemblée Nationale pour la vider de son contenu. Suite à la mobilisation nationale associative et citoyenne du 16 septembre enjoignant à nouveau le gouvernement à répondre favorablement à cette légitime revendication de garantir la pleine indépendance financière des personnes en situation de handicap bénéficiaires de l’AAH vivant en couple, nous nous adressons solennellement à vous.
Aujourd’hui, le montant de l’AAH est calculé en fonction des ressources du conjoint, conduisant 270 000 personnes en situation de handicap ou atteintes de maladie invalidante à percevoir une AAH réduite ou à en être privées.
En février 2020, lors de la Conférence nationale du handicap, vous aviez fait du handicap une priorité de votre quinquennat en énonçant des objectifs ambitieux : « permettre à chacune et chacun de vivre une vie digne, une vie libre » ; « continuer à aller sur le chemin de l’allocation digne pour toutes les personnes en situation de handicap » ; « ouvrir de nouveaux droits pour les personnes en situation de handicap : le droit de se marier, de se pacser, de divorcer ».
À travers ce combat pour la déconjugalisation de l’AAH, les associations souhaitent traduire votre ambition dans le quotidien des personnes en situation de handicap en leur permettant de vivre avec des revenus propres, tout en ayant la possibilité de construire une relation affective comme toute personne. C’est un enjeu sociétal majeur qui dépasse les clivages traditionnels. S’il questionne les fondements de notre solidarité nationale et de notre protection sociale – l’émancipation des personnes en situation de handicap bousculent souvent notre société -, cettedéconjugalisation de l’AAH doit permettre aux personnes concernées de vivre dignement et de manière indépendante de leur conjoint lorsqu’elles ne peuvent pas travailler ou que leur travail ne peut leur assurer des revenus suffisants pour leurs besoins de la vie quotidienne.
La proposition de votre gouvernement d’un abattement fixe de 5 000 € sur les revenus du conjoint non bénéficiaire de l’AAH prévue dans le PLFSS 2022 ne répond qu’à moins de la moitié des personnes concernées et surtout ne remet pas en cause le principe – pour lequel nous sommes contre – de la prise en compte des ressources du conjoint dans le calcul de l’AAH.
Pour les associations réunies dans le collectif inter-associatif initié par APF France handicap et mobilisées le 16 septembre dernier, pour les bénéficiaires de l’AAH et leur famille, il est temps de remettre en cause le statut de minimum social de l’AAH et de considérer cette allocation avant tout comme un revenu individuel d’existence pour les personnes en situation de handicap ou atteintes de maladie invalidante n’ayant pas pu préalablement faire droit à leurs revenus de remplacement en tant qu’assuré social.
Cette nécessaire évolution sociétale a d’ailleurs été rappelée fermement, tant par la Défenseure Des Droits et la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) que par les membres du Comité des droits des personnes handicapées des Nations-Unies lors de l’audition de la France en août dernier sur la mise en œuvre de la Convention internationale relative aux droits de personnes handicapées.
Monsieur le Président de la République, il est temps d’entendre la parole citoyenne et la représentation nationale. Il en va du respect des droits, de la santé et de la dignité des personnes concernées par l’AAH.
En enjoignant votre gouvernement à faire droit à cette déconjugalisation, vous marqueriez la fin de votre mandat sur une ambition politique majeure avec l’adoption d’une réforme historique, attendue depuis longtemps par les personnes en situation de handicap ou atteintes de maladie invalidante, leur famille et, au-delà, par tous les citoyennes et citoyens engagés pour la promotion de l’égalité des droits et le respect des droits fondamentaux.
A travers cette avancée sociétale d’ampleur, vous inscririez résolument la France dans l’effectivité de ses obligations issues de la Convention internationale des droits des personnes handicapées, que vient de rappeler le Comité des droits des personnes handicapées des Nations-Unies dans son rapport du 14 septembre en recommandant à l’Etat français de « réformer le règlement de l’allocation adulte handicapé afin de séparer le revenu des personnes handicapées de celui de leur conjoint, et prendre des mesures pour garantir et promouvoir l’autonomie et l’indépendance des femmes handicapées qui vivent en couple, et renforcer les mesures de soutien aux couples composés de personnes handicapées et de parents d’enfants handicapés ».
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.
Au nom des associations signataires
Pascale Ribes,
présidente d’APF France handicap
Associations signataires : APF France handicap, AIDES, ASEI, Association valentin Haüy, CFPSAA, CH(s)OSE, Collectif ALERTE, Collectif Handicaps, FFDYS, FISAF, FNATH, France Assos Santé, LDH, Santé mentale France, Sidaction, Solidarité sida, Vaincre la mucoviscidose, Voir ensemble, UNAFAM, UNANIMES, UNAPEI, UNIOPSS
Paris, le 5 octobre 2021