Note argumentaire dont l’ODSE est signataire
L’aide médicale de l’Etat (AME) subit de nouvelles attaques politiques et médiatiques. Nos organisations alertent sur les conséquences désastreuses qu’entraîneraient de nouvelles limitations du dispositif, déconstruisent les contre-vérités agitées par ses détracteurs et décryptent le contenu du dernier rapport des services d’inspection générale de l’Etat, dirigé par Claude Evin et Patrick Stefanini (décembre 2023).
1. Qu’est-ce que l’AME et qui en bénéficie ? – Un dispositif à l’accès restrictif
L’AME est une prestation d’aide sociale financée par l’Etat, qui permet aux personnes en situation administrative irrégulière d’accéder aux soins dans l’attente d’obtenir leur régularisation. Elle est soumise à plusieurs conditions restrictives : être sans titre de séjour ; prouver sa résidence irrégulière en France depuis au moins 3 mois consécutifs (elle n’est donc pas accessible dès l’entrée sur le territoire) ; déclarer des ressources inférieures à 847 € / mois pour une personne seule (un montant bien en-deçà du seuil de pauvreté de 1158€ / mois).
Concrètement, le dispositif concerne les sans-papiers les plus précaires, majoritairement des travailleuses et travailleurs informel·les du secteur du soin, de la construction, de la restauration ou encore de la livraison.
Ce ne sont pas les fraudes et les abus qui caractérisent l’AME, mais le manque d’information qui entraîne du non-recours et de la difficulté pour les personnes concernées à faire valoir leurs droits.
- L’enquête « Premiers Pas » (2019) de l’Institut de Recherche et de Documentation en Economie de la Santé montre que le taux de non-recours à l’AME atteint 49 %. Après 5 années ou plus de résidence en France, 35 % des personnes sans titre de séjour n’ont pas ouvert leurs droits à l’AME.
- L’enquête de MdM et de ses partenaires associatifs (avril 2023) recense les obstacles administratifs qui compliquent l’accès : insuffisance des lieux de dépôt, obligation de prise de RDV, conditions d’accueil inadaptées…
Décryptage : de nouvelles restrictions des conditions d’accès à l’AME envisagées dans le rapport Evin-Stefanini auraient des impacts considérables :
- La « conjugalisation des ressources » c’est-à-dire la prise en compte des ressources du conjoint dans le calcul d’admission à l’AME, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, priverait de toute couverture santé de nombreuses personnes, tout en accentuant les situations de dépendance conjugale pour les femmes étrangères en situation de grande précarité
- La limitation des pièces justificatives d’identité aux seuls documents avec photo, ainsi que le dépôt physique des demandes de renouvellement au guichet, complexifierait des procédures déjà compliquées, et conduirait à des retards voire des renoncements à ce droit, tout en alourdissant le travail des caisses d’assurance maladie.
- La limitation de l’accès à l’AME aux personnes concernées par une mesure d’éloignement constituerait un dangereux mélange des genres en subordonnant les impératifs de protection de la santé publique aux considérations de contrôle migratoire.
L’ensemble de ces mesures risqueraient donc de priver de couverture maladie de nombreuses personnes, qui seraient contraintes de renoncer à se soigner et verraient leur état de santé se détériorer, et plus globalement celui de la population. En Espagne, la restriction de l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière votée en 2012 a entraîné une augmentation de l’incidence des maladies infectieuses ainsi qu’une surmortalité des sans-papiers de 15% en 3 ans. Cette réforme a finalement été abrogée en 2018 face aux conséquences humaines et sanitaires dramatiques.
2. A quoi a-t-on droit avec l’AME ? – Une protection maladie de second rang
L’AME prend en charge les frais de santé à hauteur de 100 % du tarif sécurité sociale, et exclut les dépassements d’honoraires. Elle ne permet donc pas l’accès effectif à des nombreux soins en raison de leur coût. Les bénéficiaires de l’AME ne peuvent notamment pas bénéficier du 100% Santé (audio, optique, dentaire) contrairement aux personnes assurées sociales qui bénéficient de contrats de complémentaires ou de la complémentaire santé solidaire (C2S). En pratique les prothèses dentaires, les prothèses auditives et l’optique restent donc inaccessibles financièrement avec l’AME.
Décryptage : contrairement à ce qui est avancé dans de nombreux débats, l’AME ne permet pas la pose d’un anneau gastrique (prise en charge de 452,34 € seulement par la sécurité sociale pour un coût total de 3000 à 4000€ en moyenne), ni le recollement des oreilles (prise en charge de 236,81€ pour une otoplastie bilatérale par la sécurité sociale pour un coût total entre 2000 à 3500 €) en raison de restes à charge trop importants.
Le panier de soins AME est plus réduit que celui des assurés sociaux. Sont notamment exclus : les frais d’examen de prévention bucco-dentaire pour les enfants, les frais de traitement et d’hébergement des personnes handicapées, les indemnités journalières ou encore les médicaments à faibles services rendus et les cures thermales. En outre, la prise en charge de certains soins (prothèse de genou, d’épaule ou de hanche, allogreffe de cornée, …) est subordonnée à un délai d’ancienneté de bénéfice de l’AME de 9 mois.
Décryptage : De nouvelles limitations de l’accès aux soins envisagées dans le rapport Evin-Stefanini, par exemple à travers un accord d’entente préalable pour certains soins ou la restriction du panier de soins, auraient de graves conséquences :
- Cela constituerait une mise en danger des personnes, qui seraient privées des actions de prévention et de diagnostics précoces réalisés par les médecins généralistes (« médecine de ville »). Plus l’on soigne tôt et agit de manière préventive, plus on limite l’évolution de certaines maladies et empêche la dégradation de l’état de santé et l’engagement du pronostic vital. Une prise en charge tardive survient en urgence avec des hospitalisations complexes et prolongées, dans des structures déjà fragilisées, et à des coûts finalement bien plus élevés pour la collectivité.
- Cela contribuerait à légitimer et à banaliser les pratiques discriminatoires des professionnels de santé, déjà fortes. La probabilité d’obtenir un RDV auprès d’un médecin est de 10 à 12 % plus faible pour les usagers AME par rapport aux autres patients, selon une étude du Ministère de la Santé (avril 2023). Par ailleurs, le rapport Evin-Stefanini ferme définitivement la porte à l’idée d’une réduction du périmètre de l’AME aux seuls soins urgents et vitaux qui « aurait pour triple impact une dégradation de l’état de la santé des personnes concernées, des conséquences possibles sur la santé publique et une pression accentuée sur les établissements de santé ».
3. Quel est le coût de l’AME ? – Un dispositif stable et maîtrisé
Le budget de l’AME est certes en augmentation, mais celle-ci est à relativiser fortement. Avec 1,14 milliard d’euros en 2023, son budget ne représente que 0,47 % de celui de l’assurance maladie, une proportion stable depuis des années. Les dépenses sont maîtrisées et augmentent au même rythme que celles de l’assurance maladie compte tenu du nombre d’usagers. C’est une prestation très contrôlée, qui fait l’objet d’analyses régulières des services d’inspection générale. Le dernier rapport Evin-Stefanini montre qu’il s’agit d’un « dispositif sanitaire utile et globalement maîtrisé ».
Décryptage : la réinstauration d’un ticket d’entrée ferait considérablement chuter le nombre d’ouvertures de droits. La précédente mise en œuvre de cette mesure en France en 2011 a introduit une forte pression sur le système hospitalier (+18% de fréquentation) et les urgences (+7%), et a été supprimé en conséquence en 2012.
Le nombre de bénéficiaires de l’AME a baissé de 0,6 % entre 2020 et 2021, avant d’atteindre le nombre de 466 000 bénéficiaires fin 2023, dont près de 25% sont mineurs. Cette hausse modérée s’explique par la réduction de la durée du maintien de droits à l’assurance maladie pour les personnes en fin de séjour, ainsi que par l’intensification des politiques de restriction d’accès au séjour, qui ont mécaniquement augmenté le nombre de personnes en situation irrégulière.
4. Un système « attractif » et des « abus » ? – Les mythes de « l’appel d’air » et de la fraude
Le rapport Evin-Stefanini dissipe définitivement les fantasmes autour du prétendu « appel d’air », de « l’immigration thérapeutique » ou du « tourisme médical » que susciterait l’AME. Il confirme les résultats de nombreuses études scientifiques qui montrent que le niveau de prestations sociales, comme la couverture santé, n’est pas un élément déterminant pour choisir le pays de destination pour les personnes souhaitant migrer. A ce jour, aucune donnée n’objective l’existence « de filières » de soins. En outre, la santé n’est que très rarement un motif pour s’engager dans un processus migratoire. Les personnes immigrées arrivent le plus souvent dans un meilleur état de santé que la moyenne de la population du pays d’accueil (« healthy migrant effect », largement documenté dans la littérature scientifique).
Les personnes immigrées ne menacent pas l’équilibre du système de protection sociale. Qu’elles soient en situation régulière ou non, elles participent au financement de leur couverture santé par le biais du paiement des prélèvements obligatoires auxquels elles sont soumises comme toute personne résidant en France).
5. Une mobilisation forte de la société civile et des soignants en défense au dispositif
L’intérêt et la pertinence de l’AME rencontrent un large consensus auprès du secteur médico-social comme de la communauté scientifique. De nombreux soignants, ainsi que de fédérations et organisations du secteur sanitaire et social ont manifesté publiquement leur opposition à une restriction de l’AME ces derniers mois. Nombre de travaux scientifiques confirment l’importance de l’AME pour la protection de la santé individuelle et collective. En septembre 2024, huit anciens ministres de la santé de différentes sensibilités politiques ont uni leurs voix pour rappeler l’importance de préserver l’AME.
Par ailleurs, un sondage de CSA en novembre 2023 révèle que 60% des Français se déclarent spontanément en faveur de l’AME. Cet attachement progresse de 13 points de pourcentage quand on les informe sur le dispositif.
Listes des associations et collectif d’organisations signataires :
Médecins du Monde, AIDES, Cimade, Comede, Emmaüs France, Fédération des acteurs de la solidarité, France Assos Santé, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Médecins sans frontières, Mouvement français pour le planning familial, Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss), Samusocial de Paris, Secours Catholique, Sidaction, SOS Hépatites et maladies du foie ; Le Collectif des 10 choix politiques pour en finir avec le sida ; L’Observatoire du droit à la santé des ztrangers (ODSE) : AIDES, Act Up Paris, AFVS, ARCAT, La Case de Santé, CATRED, Centre Primo Lévi, Cimade, Comité pour la santé des exilés (Comede), CoMeGAS, Créteil-Solidarité, Dom’Asile, Droits d’urgence, Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), LDH (Ligue des droits de l’Homme), Médecins du Monde, Médecins sans frontières, Migrations Santé Alsace, Mouvement français pour le planning familial, MRAP, Réseau Louis Guilloux, Sidaction, Sida Info Service, Solidarité Sida, SOLIPAM, SOS Hépatites et maladies du foie.