Par Isabelle Denise, responsable du service juridique de la LDH
Au cours de ces cinq dernières années, la LDH s’est très régulièrement exprimée sur la recrudescence du racisme et du rejet dans la sphère publique. Nous avons dénoncé la banalisation des discours racistes chez certains politiques, discours qui permettent la stigmatisation de certaines populations désignées comme responsables de tous les problèmes et développent ainsi racisme et xénophobie. Le dossier qui nous occupe depuis l’été 2014 illustre ce climat et la difficulté à faire émerger une réponse pénale, alors même que la loi stipule que le représentant de l’autorité publique commettant une discrimination dans l’exercice de ses fonctions encourt une peine aggravée.
Richard Trinquier est maire de Wissous, commune située en région parisienne. A l’été 2014, il aménage, sur un terrain de la ville, un espace de loisirs avec sable, transats, jeux, etc. Un règlement intérieur est affiché à l’entrée, règlement qui prévoit l’exclusion de « Wissous plage » à toute personne portant un signe religieux. Ce règlement sera du reste contesté devant la juridiction administrative qui l’annulera.
Le 4 juillet 2014, le maire, accompagné d’employés municipaux, refuse l’entrée à l’espace de loisirs à deux femmes au motif qu’elles portent un voile, et ce sur le fondement du règlement intérieur qui sera donc annulé par la suite. Informée de ces faits, la LDH porte plainte auprès du procureur de la République du TGI d’Evry, par courrier du 11 juillet 2014, pour discrimination par une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions
De là s’en suit une véritable odyssée judiciaire qui est loin d’être achevée en ce mois de septembre 2017.
En effet, sans réponse du parquet, la LDH a effectué une relance le 5 mars 2015. Suite à cette relance, la LDH a reçu un courrier du parquet l’informant qu’un avis de classement sans suite a été pris au motif que « l’infraction ne paraissait pas suffisamment caractérisée ». Le motif du classement est plus qu’étonnant sachant que les faits sont avérés, et que le maire n’a pas manqué de se répandre dans la presse sur ces faits. La LDH décide de commander le dossier afin de se constituer partie civile.
Mais quelle n’est pas notre surprise quand une réponse de ce même parquet, datée 4 juin 2015, nous parvient nous informant que la procédure serait toujours en cours d’instruction.
Au vue des deux réponses contradictoires, nous nous tournons vers le procureur de la République le 11 juin 2015 pour lui demander des précisions sur l’état de la procédure, et en cas de classement confirmé de nous communiquer le dossier.
De nouveau, le silence assourdissant du parquet. Plus de trois ans après les faits, la LDH a décidé de porter plainte avec constitution de partie civile auprès du TGI d’Evry.
Mais ce dossier comporte un autre volet pénal, tout aussi difficile à mettre en mouvement. Chacun-e sait que les nouvelles technologies de l’information et de la communication constituent un outil accessible, permettant de véhiculer sans délai des idées racistes et pouvant souvent garantir l’anonymat.
Sur sa page Facebook, Richard Trinquier est rapidement revenu sur l’affaire du règlement intérieur de « Wissous plage » et de son action pour empêcher certaines femmes d’y accéder. A la suite de sa publication, les commentaires qui ont été laissés sont éloquents : « T’es voilée, tu sors », « L’islam va nous avaler ! On est foutus ». Le premier adjoint au maire n’a pas été en reste. Il commente la situation sur son compte Tweeter : « S’ils croient qu’on risque de leur piquer leurs laiderons parce qu’elles montreraient leur cheveux … Il faudrait avoir vraiment faim ! ».
Par courrier du 31 juillet 2014, la LDH saisi le procureur de la République d’une plainte pour injure raciale et incitation à la haine, à la violence raciale. Le 4 septembre de la même année, Richard Trinquier réitère en publiant sur sa page Facebook un extrait du Coran, et en mettant un lien vers un article intitulé « Le mythe du musulman modéré ». Des commentaires d’une particulière violence envers la communauté musulmane se succèdent à la suite de cette publication, constituant un véritable appel au meurtre. La LDH saisi le procureur de la République d’une nouvelle plainte par courrier du 12 septembre 2014.
En définitive, le procureur de la République a décidé d’engager des poursuites devant le tribunal correctionnel d’Evry mais uniquement à l’encontre des personnes ayant posté des commentaires. Le maire et son premier adjoint ne sont pas poursuivis. L’audience est fixée au 17 octobre 2017.