Le bulletin n°53 de janvier 2011, du groupe de travail « Chine » de la LDH est paru. Comme l’ensemble de ses prédécesseurs, il est disponible en ligne sur le présent site à la rubrique « Groupes de travail ». C’est un outil unique d’information et de réflexion. Bonne lecture ! Vous lirez ici directement l’article éditorial de ce bulletin
Sur quoi se fonde la légitimité du régime chinois ? Sur la croissance économique. Quelle croissance ? Celle que le gouvernement annonce et dont le monde entier recopie les chiffres. Ainsi, dès le 20 janvier 2011, la Chine annonce une croissance de 10,3% et un Produit intérieur brut de 6.050 milliards de dollars. Il lui a donc suffi de vingt jours pour savoir comment a évolué la production d’un milliard et trois cents millions d’individus, éparpillés sur un territoire dix-sept fois plus grand que la France et vingt fois plus peuplé.
Nous n’avons pas encore les chiffres français, sans doute à cause de la paresse et de l’incompétence de nos statisticiens. Les Chinois vont plus vite et d’ailleurs sont trop modestes : le P.I.B. officiel de 2009 étant de 5.150 milliards (chiffre révisé deux fois en cours d’année), il a donc augmenté de 17%. Ceux qui mettent en doute les chiffres de Mme Lagarde admettent sans difficulté ceux que diffuse l’État chinois.
On arrive ainsi à des fantasmes. Dans un sondage publié le 12 janvier aux États-Unis, 41% des citoyens américains pensaient que l’économie chinoise était plus puissante que la leur. Sur la base des chiffres de 2009, le P.I.B. américain est trois fois supérieur. Beaucoup pensent désormais que le dynamisme de la croissance chinoise va sauver l’économie mondiale. Mais comment le croire alors qu’en 2009, la production chinoise n’atteignait pas encore celle du Japon et restait bien inférieure à celles de la France et de l’Allemagne réunies ?
Les thuriféraires professionnels de la Chine vont partout disant que le niveau de vie chinois a pratiquement rattrapé celui de l’Occident. Qu’en est-il, si l’on s’en tient aux chiffres incontestés des organismes internationaux ? Le P.I.B. par tête chinois de 2009 s’élève à 5.150 milliards de dollars divisé par 1.300 millions de Chinois, soit 3.961 dollars ; celui de la France, à 41.167 dollars (2.675.915 millions de dollars/ 65 millions d’habitants. Dans le C.I.A. World Fact Book, le chiffre chinois est supérieur (4.900 dollars), ce qui classe le pays au cent trente sixième rang mondial sur un total de 225.
On dira bien sûr que le pouvoir d’achat du yuan n’est pas représenté par sa conversion en dollar. C’est exact pour les dépenses intérieures mais pas lorsqu’il s’agit de s’approvisionner sur le marché mondial. Un essai de classement des pays par le P.I.B. en fonction de la parité des pouvoirs d’achat élève la position chinoise au quatre-vingt-septième rang mondial avec un P.I.B. corrigé de 7.598 dollars. Le chiffre est ancien (2005) et ne doit pas être pris trop au sérieux. Mais on obtient de toute façon un niveau proche de la moyenne mondiale. La moyenne mondiale, c’est bien simple : il y a des milliardaires comme aux États-Unis, une classe moyenne et des pauvres en bien plus grand nombre comme en Birmanie, au Tchad ou en Équateur.
Question de méthode : s’agissant d’un pays qui attire le plus gros des investissements étrangers de la planète, il est essentiel de distinguer dans les chiffres ce qui est proprement chinois et ce qui ne l’est pas. Les économistes chinois ne s’y trompent pas et donnent l’exemple des exportations informatiques : sur un iPhone de 179 dollars comptés comme exportation chinoise, 6,5 dollars (3,6% seulement du total) reviennent à la Chine pour son travail d’assemblage.
Les pays riches ont abandonné la distinction naguère classique du revenu national et du produit intérieur. En ce qui les concerne, la distinction n’est pas vitale mais dans des pays pauvres à économie dualiste, où les circuits paysans n’interfèrent pas avec les zones où l’argent tourne, cette distinction est essentielle.
Enfin s’agissant du niveau de vie, il est essentiel de distinguer entre ce qui va aux individus et ce qui va aux entreprises. Celles-ci reçoivent beaucoup en Chine mais la part des revenus distribués y est une des plus faibles qui s’observent au niveau mondial.
Le flux de paysans qui partent vers les villes varie de cinq à vingt-cinq millions selon les années. Or la paysannerie, c’est encore la moitié de la population. Si elle quitte les villages pour chercher un travail aléatoire dans les villes, c’est que les terres n’y sont pas suffisantes pour assurer sa subsistance. Sept cents millions de villageois peuvent-ils être oubliés dans un bilan global ?
Il n’est pas bon de flatter sans fin la Chine en chantant son expansion. Car elle ne cesse de s’en prévaloir et finit peut-être par s’en persuader. Le Quotidien du peuple s’extasiait le 4 janvier : «La Chine resplendissante, une nation géante en développement avec une population de 1,3 milliard d’habitants, a rempli le monde d’une intense admiration en 2010». Comment expliquer autrement l’impertinence, rarement relevée, qui a conduit le célèbre pianiste Lang Lang à mettre au programme du concert donné à la Maison blanche, lors du voyage de Hu Jingtao, une musique bien connue exaltant l’antiaméricanisme et la résistance à l’envahisseur américain lors de la guerre de Corée ? La Fontaine n’avait pas forcément raison lorsqu’il disait «Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute». Le flatté parfois se sent tellement sûr de lui qu’il en devient insolent avant de devenir agressif.
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