Le bulletin n°51 de novembre 2010, du groupe de travail « Chine » de la LDH est paru. Comme l’ensemble de ses prédécesseurs, il est disponible en ligne sur le présent site à la rubrique « Groupes de travail ». C’est un outil unique d’information et de réflexion. Bonne lecture ! Vous lirez ici directement l’article éditorial de ce bulletinC’est une manière de critiquer en minimisant les risques, fort répandue en Chine. On frappe par ricochet, en utilisant deux ou trois bandes de la table de billard. On injurie l’acacia en désignant le mûrier, selon la formule bien connue. Mais elle est si connue que la censure chinoise ne s’y trompe guère. La publication du Hunan Xiaoxiang Chenbao vient d’en faire l’expérience, à l’occasion de la célébration prochaine des cent ans de république.
Un rédacteur s’en est pris en apparence aux derniers gouvernements de la dernière dynastie – les Qing -, pour en blâmer les piètres performances. L’histoire, écrit-il, montre que « pour résister à ceux qui construisent un mur, le peuple l’escalade». La phrase n’est-elle pas anodine ? Bien sûr que non ! Le mur, c’est aujourd’hui le contrôle de l’Internet ; ceux qui l’escaladent ou le contournent, ce sont les usagers de twitter, des S.M.S., des codes d’écriture, du téléphone mobile ou des pare-feu personnels qui permettent d’échapper aux logiciels espions.
La petite phrase anodine touchait donc au coeur du système, au contrôle de l’information qui permet l’oubli de la tuerie de 1989 en plein centre de la capitale et l’ignorance des troubles ouvriers ou villageois qui remettent en cause les directions d’entreprise ou les pouvoirs locaux. Cette méconnaissance organisée empêche les contestations de se rejoindre et de s’unir. Un organe du Comité central le reconnaît d’ailleurs en ce mois de novembre : l’Union soviétique n’aurait pas disparu si Gorbatchev n’avait pas donné autant de libertés aux médias ; il faudrait en tirer la leçon.
Les autorités chinoises sont plus vigilantes que Gorbatchev. L’auteur de la phrase sur les murs que le peuple escalade a été muté vers une autre publication et le rédacteur en chef de la revue du Hunan aurait été suspendu. On évite ainsi les vagues que pourait amplifier le mécontentement populaire.
Dans ce même souci d’assourdir les voix hostiles, il faut citer ce mois l’affaire Zhao Lianhai pour l’étrange lumière qu’elle jette sur le fonctionnement de l’appareil judiciaire. Père d’un enfant rendu malade comme des milliers d’autres par l’absorption de lait maternisé à la mélanine, Zhao avait pris la tête d’un mouvement de parents demandant compensations financières pour les frais médicaux de longue durée qu’ils ont désormais à supporter et actions en justice, compte tenu du silence des autorités sur le sujet : dûment averties, elles avaient tu l’affaire six mois pour éviter un scandale à l’approche des Jeux Olympiques de 2008.
Zhao Lianhai était trop bruyant et trop véhément. Il a donc été condamné à deux ans et demi de prison pour trouble à l’ordre social. Avec son avocat, il avait plaidé l’innocence. À l’annonce du verdict, il a déchiré sa tenue de prisonnier et refusé de porter les menottes. Puis il a annoncé qu’il entamait une grève de la faim.
Quelques jours plus tard, coup de théâtre ou plutôt coup fumeux : Zhao Lianhai oublie de faire appel, refuse de voir son avocat, demande une libération pour raison médicale et serait disposé à reconnaître ses «fautes». Par quels moyens est-on parvenu à retourner la volonté de cet homme qui drainait toute l’indignation des parents d’enfants victimes, indignation d’ailleurs accrue par sa récente et lourde condamnation ? Son avocat lui-même, Li Fangping, connu pour son engagement dans la défense des droits de l’homme et maintenant désavoué, n’y comprend pas grand chose. Mais chacun sait qu’il est dans l’habitude des régimes totalitaires, qu’ils soient féroces ou doucereux, d’humilier et de salir les rebelles pour décourager la foule.