Bulletin « Les droits de l’Homme en Chine » n°136 – janvier 2021

La Chine se déploie, l’Occident reste myope et serein

L’auteur d’un crime n’est pas toujours le seul qu’on doive incriminer : ceux qui connaissaient ses intentions et n’ont rien fait pour l’arrêter, ou qui ont détourné leurs regards, ou qui se sont tus, ne peuvent se laver les mains. C’est une question permanente, depuis la Grèce antique jusqu’aux totalitarismes du xxe siècle. Dans le cas de la Chine à parti unique, seule superpuissance à mettre en pratique chaque jour son rejet ouvert des droits de l’Homme, la faute en est de même imputable aujourd’hui pour partie aux diplomaties qui ferment les yeux, qui négocient dans la duplicité et qui se bornent à des réserves de détail lesquelles, délicatement jaugées, ne gêneront pas leur interlocuteur. Il ne suffit donc pas de dénoncer, dans ces bilans répétitifs de fin d’année les violences d’une répression nationale qui touche à elle seule un cinquième de la population mondiale ; encore faut-il observer avec vigilance l’attitude des gouvernements élus, ceux qui acceptent le jugement des citoyens.
La situation à cet égard peut inquiéter, avec cette prédominance de l’insouciance à l’échelle internationale. Trois quarts de siècle après la seconde guerre mondiale, il semble que personne ne croit plus à d’éventuels conflits de grande ampleur. On ne redoute plus les totalitarismes ; les tragédies du vingtième siècle sont oubliées1. Les rescapés des camps s’écrient : « Plus jamais ça ! » mais personne ne s’interroge sur les effectifs détenus à présent dans l’ensemble de la Chine. La raison n’en est pas que les documents manquent, car on dispose de listes et de cartographies des camps d’internement à travers tout le territoire (pas seulement au Xinjiang), ainsi que de nombreuses photos prises par satellite ; c’est surtout qu’on ne les cherche pas. Beaucoup d’ailleurs préfèrent oublier ces réalités dérangeantes et diriger leur attention sur « la jolie Chine », selon la formule d’Anne Cheng, à savoir la peinture traditionnelle, la calligraphie, la cuisine, la poésie des Tang et des Song, la médecine traditionnelle ou le taijiquan et tout ce que véhiculent les Instituts Confucius.
La sagesse chinoise nous met en garde : « Quand la première voiture se renverse dans le fossé, celles qui suivent doivent en tirer la leçon ». Il serait coupable d’oublier l’histoire, d’ignorer les horreurs du siècle passé et de faire fi des attaques quasi frontales portées aujourd’hui contre des valeurs déclarées universelles. Cette apparente incapacité à reconnaître la brutalité du régime chinois, cette illusion qu’il pourrait être un aimable partenaire dans un monde apaisé et démocratisé risquent fort de conduire à des drames. Le vieux Fontenelle disait de l’humanité insouciante qu’elle était « comme les passereaux qui, chaque printemps, se laissent prendre dans les mêmes filets ».

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