Le gouvernement a profité du débat au Sénat concernant le projet de loi sur la sécurité quotidienne pour déposer une série d’amendements qui ont pour but déclaré de renforcer la lutte contre le terrorisme. Le Premier ministre s’est exprimé à ce sujet devant l’Assemblée nationale et ce projet ne rencontre guère d’opposition ni au Parlement ni dans l’opinion. La procédure choisie, alors que le texte a déjà été approuvé en commission mixte paritaire, est pour le moins contestable. Les débats seront courts et le vote est acquis. Il est d’ailleurs vraisemblable qu’aucun contrôle de sa constitutionnalité, ni en la forme, ni au fond ne sera effectué par le Conseil constitutionnel pour la bonne raison qu’il ne sera sans doute pas saisi. D’ailleurs un sondage ne constate-t-il pas qu’une majorité écrasante des personnes interrogées approuve les mesures restrictives des libertés individuelles proposées ? Alors, à quoi bon contester, crier dans le désert comme l’ont fait non seulement la Ligue des droits de l’ !homme (LDH) mais aussi un certain nombre d’associations comme le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, le MRAP, Attac, ou l’Union syndicale Groupe des dix ? La monstrueuse attaque dont ont été victimes les États-Unis, les milliers de morts, écrasés sous les décombres des tours, nous ont bouleversés. Nous avons senti d’un coup la fragilité de nos sociétés devant un fanatisme meurtrier méprisant la valeur de la vie humaine au point que les auteurs de ces actes meurent au cri intérieur de « Vive la mort ». Nous savons bien qu’il faut trouver la réponse à cette menace sur le monde. Mais la force des démocraties réside dans ce que leurs adversaires croient être une faiblesse. Elles ne peuvent utiliser les armes de la barbarie ou renoncer à leur raison d’être. Ni la vengeance absurde entraînant dans le cycle infernal de la haine de l’autre où chacun oublie qui a eu la responsabilité première : c’est le problème posé au monde au moment des frappes sur l’Afghanistan. Ni le renoncement aux principes fondamentaux : c’est le problème posé à notre modeste échelle par les amendements déposés. De quoi s’agit-il donc ? D’un ensemble de dispositions qui limitent les libertés individuelles dans le but « d’assurer la plus grande sécurité aux Français dans une période où le risque est accru et actuel ». Tout d’abord on constate que ces mesures concernent non seulement la lutte contre le terrorisme mais également les infractions à la législation sur les armes et le trafic de stupéfiants ainsi que l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication sous prétexte qu’il s’agit là d’infractions ou de moyens qui pourraient être utilisés par le terrorisme. Fouille des voitures, perquisitions des domiciles hors les cas de flagrants délits, fouille par des agents privés dans les aéroports et ports, utilisation des fichiers informatisés de la police en dehors du casier judiciaire pour se renseigner sur les personnes habilitées à travailler dans des lieux sensibles ou sur des matériels dangereux, mesures pour conserver des données techniques et identifier les auteurs des télécommunications et avoir accès à toutes les données chiffrées ou cryptées… Bien entendu il ne s’agit là que d’un résumé très succinct d’un ensemble de dispositions parfois très techniques et qui semble avoir été préparé depuis bien longtemps. La fouille des voitures n’est-elle pas déjà un leitmotiv des ministres de l’Intérieur qui ne purent jusqu’ici aboutir en raison de la censure du Conseil constitutionnel. Bien sûr le texte prévoit le contrôle du Parquet ou du juge des libertés et de la détention mis en place récemment, mais que peuvent-ils donc faire sur un rapport alarmant d’un service de police, d’autant plus que le texte prévoit, s’agissant des fouilles et perquisitions que « le fait que les opérations prévues au présent article révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision du juge des libertés et de la détention ne constitue pas une cause de nullité des procédures ultérieurs ». L’instrument sera tentant. Ces restrictions sont elles nécessaires ? Les policiers se plaignent souvent des restrictions apportées par la loi, au nom de la protection des libertés des citoyens, et qui gênent leur action pour la préservation de l’ordre public et de la sécurité des mêmes citoyens. C’est la rançon de la démocratie, la protection de chacun contre la tentation des abus de ceux qui détiennent la force légitime de l’État. Mais il y a plus : on constate que l’on a inclus le trafic, et même la simple détention, de stupéfiants comme infraction soupçonnée permettant l’usage de ces mesures. Comment ne pas voir que ces dernières seront particulièrement utilisées dans les quartiers difficiles, que les contrôles de véhicules ou les visites domiciliaires au faciès des conducteurs ou des habitants s’ajouteront aux contrôles d’identité au faciès que nous connaissons bien déjà. Mesures justifiées par le contexte nous dit-on. Mais les lois de circonstances ne sont jamais de bonnes lois, et surtout, elles s’incrustent dans la législation. Faut-il ici rappeler les lois scélérates de 1893 qui étaient destinées à combattre les menées anarchistes ou la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combats et milices privés destinée à réprimer les groupes fascistes et qui l’une et l’autre sont restées et ont été utilisées surtout pour réprimer les mouvements révolutionnaires ou contestataires progressistes ? Les lois de circonstance répondent peut-être à l’angoisse populaire mais elles l’attisent aussi. Elles réduisent durablement le champ des libertés sans pour autant que leur efficacité soit prouvée. Est-il trop tard pour que le gouvernement, les forces démocratiques réagissent ? En tout cas il n’est jamais trop tard pour dire la vérité. Même à contre-courant. Henri LECLERC, Président d’honneur de la LDH Tribune publiée dans L’Humanité le 18 octobre 2001