Par Nadja Djerrah, membre du Comité central de la LDH et responsable du groupe de travail « Femmes, genre, égalité »
Le 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, nous invite à nous mobiliser et à agir contre les menaces spécifiques pesant sur les femmes du monde entier.
Les violences à l’encontre des femmes ont trop longtemps été perpétrées au mépris du respect de leur dignité, de leurs droits fondamentaux, de l’égale humanité entre les femmes et les hommes. Phénomène mondial qui n’épargne aucun milieu social, aucune nationalité, aucune génération, en temps de paix comme en temps de guerre, elles sont un instrument de maintien d’un ordre inégalitaire dont elles sont à la fois causes et conséquences.
Si les questions de l’égalité des sexes et de la liberté des femmes sont reconnues comme questions politiques, demeure la question du corps des femmes dont l’appropriation reste un enjeu constant. D’où la vigilance et l’action du mouvement féministe pour le droit à l’avortement, la lutte contre les violences à l’encontre des femmes et des filles et leur combat contre le système prostitutionnel.
Dans la sphère publique, les femmes sont confrontées à la visibilité de leur corps à la fois comme objet de désir, sujet d’agression verbale et sexuelle, d’interpellations sexistes, racistes, homophobes, mais aussi à une violence plus invisible, faites à même leur corps, dans le silence et la banalisation des actes et propos sexistes.
Les femmes sont encore la proie d’une domination masculine soucieuse de son pouvoir, de ses privilèges et qui résiste à la déconstruction de préjugés et de stéréotypes, bien intégrés chez les uns et instrumentalisés par d’autres.
Trop longtemps niés, aujourd’hui le harcèlement sexiste et les agressions sexuelles sont visibles, dicibles et audibles. Finis un silence scandaleux et une occultation insupportable qui étaient les premières des injustices.
Mais avons-nous affaire à une étincelle médiatique ou à une vague de fonds ? La parole des femmes a été si longtemps étouffée que la médiatisation si importante aujourd’hui contribue à ce que les violences sexuelles passent de la rubrique des faits divers au phénomène de société. Ce sont les femmes qui portent cette médiatisation. Les associations, les féministes et toutes celles et ceux qui travaillent depuis longtemps contre les violences de genre se félicitent de cette prise de conscience des milieux artistiques, médiatiques et politiques mais ils ne sont pas les seuls concernés.
Pour lutter contre le sexisme et les violences, il faut les nommer puis les dénoncer comme producteurs de violences symboliques et physiques, pourvoyeurs de souffrances morales et de traumatismes. Les recherches et les données relatives aux violences de genre montrent combien la violence à l’encontre des femmes est un phénomène systémique, hétérogène, complexe, enraciné dans le déséquilibre des pouvoirs entre les femmes et les hommes. Elles font partie d’un continuum de violences qui touchent les femmes parce qu’elles sont femmes. Les chiffres sont accablants.
Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) relève dans son avis en date d’avril 2015, que 100% des femmes ont été victimes de harcèlement sexiste[1].
Au cours de sa vie une femme sur sept et un homme sur vingt cinq déclarent avoir vécu au moins une forme d’agression sexuelle (y compris viols et tentatives de viol – hors harcèlement). 2
Quatre aspects s’entrecroisent concernant les faits de violences sexistes. Le premier relève de la banalisation des évènements sexistes, qu’il s’agisse de propos, de regards, ou même d’agressions. La fréquence des propos et des gestes injurieux s’agrémente du sentiment « d’impunité ».
Le second phénomène concerne le relativisme qui en découle : le sexisme façonne l’expérience urbaine au même titre que d’autres insécurités.
Un troisième aspect met en lumière les lieux et les heures du sexisme : la famille, le couple, le travail, la nuit, les espaces où les hommes stagnent, les nœuds d’échanges urbains, les espaces festifs sont fréquemment pointés du doigt. Enfin, la question des conséquences sur les victimes indique des séquelles plus ou moins fortes qui découlent des actes et propos sexistes. L’injonction à porter plainte se heurte à la réalité des faits.
Malgré les textes internationaux, telle que la Convention d’Istanbul3, et les législations nationales, nombreu-x-ses sont celles et ceux qui culpabilisent les femmes victimes de violence, remettent en question leur parole, refusent de prendre leurs dépôts de plaintes, ne reconnaissent pas le harcèlement comme une réelle violence, ignorent les humiliations et les traumatismes subis. Si ces femmes étaient véritablement écoutées et leurs souffrances entendues, nous n’assisterions peut-être pas à une déferlante de dénonciations publiques via les réseaux sociaux.
Si une écrasante majorité des femmes subissent des violences sexuelles, très peu osent porter plainte. En France, on estime que ce sont seulement 10% des femmes violées, 14% de celles subissant des violences au sein du couple et 5% des victimes de harcèlement sexuel au travail qui le font.
Chaque jour, l’Observatoire des violences faîtes aux femmes estime que 230 femmes adultes sont violées et plus encore de filles mineures. Seuls 1% de violeurs sont condamnés.2
Alors, quand Mme Schiappa nous annonce un nouveau projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles pourquoi manquons-nous d’enthousiasme ?
Comment croire à la volonté politique du gouvernement, alors que le montant du budget alloué au secrétariat d’Etat de Mme Schiappa, en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, est si insignifiant ?
Le préalable à toute volonté politique sincère dans la lutte contre les violences est un budget très supérieur à l’actuel budget, ne serait-ce que pour faire appliquer le droit existant. Le droit français est riche de nombreuses lois qui ne sont pas effectives.
Un gouvernement qui ne donne pas les moyens nécessaires aux associations qui sont en première ligne et qui mènent des missions de service public pour l’accompagnement des femmes victimes de violences sexistes, ne peut nous convaincre qu’il mène une lutte ambitieuse contre les violences, toutes les violences de genre.
Verbaliser ou pénaliser le harcèlement de rue cela répondra-t-il aux différentes formes de contraintes sur le corps et la mobilité des femmes, dans la rue et ailleurs ? Difficile d’imaginer un policier derrière chaque personne qui subit les propos humiliants, les insultes, les gestes déplacés… Il faut repenser une politique d’égalité d’accès aux espaces publics : rue, transports en commun, lieux ouverts au public, cyberespace… mais aussi entreprises, écoles et universités.
Ce dont nous sommes certain-e-s c’est qu’il faut mettre les moyens nécessaires, financiers et humains. S’il y a une future loi, elle ne doit pas manquer son sujet : protéger et défendre les femmes !
Pour cela il faut renforcer les moyens pour :
– l’action publique et les dispositifs du 5e plan triennal de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes (2017-2019) ;
– rendre effective la formation des personnels de police, de justice, de santé publique et d’accompagnement social ;
– l’éducation et les actions de prévention en faveur de l’égalité entre les filles et les garçons, dés le plus jeune âge, de l’école à l’université. Il faut augmenter les personnels au sein des établissements scolaires, faire appliquer les programmes de prévention contre les stéréotypes sexistes et faire prendre conscience que les comportements de domination masculine sont inacceptables ;
– les chercheur-e-s qui, par leurs travaux, brisent la loi du silence ou le déni en nous permettant de comprendre par la connaissance les contextes et les conséquences des violences, l’évaluation des politiques publiques et le travail concerté nécessaire à la mise en œuvre de réponses adaptées ;
– les associations et organismes, qui luttent contre le sexisme et pour l’égalité entre les femmes et les hommes, une attention quotidienne, 365 jours par an.
La mobilisation du 25 novembre contre les violences faites aux femmes et aux filles revêt une dimension politique, juridique et sociale en faveur de l’effectivité d’une égalité certes proclamée mais trop souvent confisquée.
C’est aussi notre affaire de :
- sensibiliser, informer, être utile, alimenter la réflexion sur la place que les sociétés font aux femmes, interroger la mobilité et la place des femmes dans la ville et faire prendre conscience des enjeux ;
- connaître et évaluer les évolutions législatives et leur mise en œuvre dans les politiques publiques par des mesures nouvelles ;
- s’inscrire dans un travail en réseau avec les professionnel-les, les associations et les services de l’État ;
- transmettre les valeurs d’égalité et de respect.
Ce sont autant de défis en vue de faire reculer la « fatalité » de ce mal social. Et c’est l’affaire de toutes et de tous que de faire avancer l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
2- L’Institut national d’études démographiques (Ined) a réalisé en 2015, une enquête quantitative. Enquête VIRAGE, première partie publiée en 2016 (Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes) portant sur les violences subies par les femmes et par les hommes. Elle a pour objectif de saisir les multiples formes de la violence et de l’aborder dans une perspective de genre : les différences d’expérience et de trajectoire des femmes et des hommes, les différentes manières d’être une femme ou un homme sont des aspects centraux de l’enquête.
Introduction au débat du Comité central de la LDH du 4 novembre 2017.