Chlordécone et eau potable : le Comité européen des droits sociaux entérine la discrimination de la France sur les territoires dits « d’Outre-mer »

Communiqué LDH, FIDH et Kimbé Rèd F.W.I.

Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) du Conseil de l’Europe a déclaré irrecevable la réclamation collective contre la France présentée par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) avec la LDH (Ligue des droits de l’Homme) et l’association antillaise Kimbé Rèd F.W.I.

Cette réclamation adressée au CEDS dénonçait la France pour ses graves manquements à la Charte sociale européenne, concernant l’accès à l’eau potable et l’empoisonnement au chlordécone en Guadeloupe et Martinique.

Cette décision d’irrecevabilité est fondée sur l’exception d’application de la Charte sur les territoires dits « d’Outre-mer », que le CEDS a décidé de ne pas surmonter. De ce fait, les habitant-e-s « d’Outre-mer » continuent de ne pas avoir les mêmes droits fondamentaux que les habitant-e-s de l’hexagone.

Dans sa décision publiée aujourd’hui, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) fait le constat sans équivoque d’une discrimination entre les territoires français tout en faisant le choix de ne pas la remettre en cause. « La Charte [sociale européenne] ne peut être considérée comme étant de facto applicable à la Guadeloupe et à la Martinique. Il en résulte une situation dans laquelle les citoyens de ces territoires bénéficient d’un niveau de protection des droits sociaux nettement inférieur, en termes de droit européen des droits humains par rapport à leurs concitoyens métropolitains ». C’est en ces termes que le Comité considère irrecevable la réclamation collective qui lui a été soumise par la FIDH, la LDH et Kimbé Rèd F.W.I.

« Le défaut d’accès à l’eau potable et la pollution au chlordécone représentent une souffrance quotidienne et une blessure immense pour tous les Antillais-e-s. En déclarant cette plainte irrecevable, le CEDS prive les populations de Guadeloupe et Martinique de la possibilité d’obtenir justice, réparations et indemnisation concernant deux problématiques majeures qui stagnent depuis des décennies en France. Cette décision légitime le fait que, en 2025, on ne naît pas égaux en droits humains dans les ’Outre-mer’ », déclare Sabrina Cajoly, fondatrice et directrice de l’association antillaise Kimbé Rèd F.W.I.

La décision du CEDS implique en effet que la Charte sociale européenne ne s’appliquera toujours pas aux territoires dits « d’Outre-mer » tant que les Etats signataires n’auront pas fait une « déclaration expresse » pour qu’elle y soit étendue. Une exception que la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) en France qualifie de « clauses coloniales » et contraire à la Constitution.

« Puisque le Comité a décidé de laisser toute latitude à la France, celle-ci se doit d’appliquer la Charte à tous ses ressortissant-e-s. Elle ne peut pas continuer à revendiquer sa souveraineté sur des territoires ultramarins, en niant le fait colonial, tout en continuant à traiter ses habitant-e-s comme des sous-citoyen-ne-s. Les personnes subissent non seulement cette discrimination mais aussi les conséquences sanitaires de l’empoisonnement, assumé par les différents gouvernements français, de l’eau et de la terre par le chlordécone  », déclare Nathalie Tehio, présidente de la LDH.

« En tant que militante des droits humains qui s’est fermement opposée à l’apartheid, au racisme et à la discrimination, et qui continue de s’y opposer, cette récente décision réaffirme malheureusement ces concepts. Alors que les droits humains sont en recul partout dans le monde, le Comité européen des droits sociaux n’a pas su utiliser la jurisprudence comme un outil de progrès et de protection de la dignité. Cette affaire offrait au Comité l’opportunité de remettre en question le statu quo et de rompre avec la colonialité persistante qui se manifeste dans la relation entre la France et ses territoires ‘d’Outre-mer’. Le Comité a, au contraire, choisi de se rallier à la position de l’Etat, qui valide cette discrimination. Cette décision va à l’encontre des fondements du droit international des droits humains qui repose sur l’universalité, l’inaliénabilité, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits humains. » déclare Alice Mogwe, présidente de la FIDH.

La France doit étendre immédiatement la Charte sociale européenne à ses territoires dits « d’Outre-mer »

Dans ses observations sur la recevabilité de la réclamation, le gouvernement français s’était contenté d’affirmer que « (…) la Charte ne s’applique pas aux territoires non-métropolitains de la France, la France n’ayant pas, à ce jour, formulé la déclaration prévue à l’article L§2 de la Charte. », assumant une discrimination à l’égard d’une partie de ses ressortissant-e-s. Or, le manque d’accès à l’eau potable et les dégâts causés par des décennies de contamination consciente au chlordécone touchent plus d’un demi-million de personnes dans ses territoires dits « d’Outre-mer ».

Les trois organisations signataires enjoignent donc le gouvernement français de prononcer immédiatement l’extension de la Charte sociale européenne à ses territoires dits « d’Outre-mer ». En outre, les organisations demandent à la France de prendre d’ores et déjà des mesures concrètes, telles que la distribution de citernes, de bonbonnes d’eau, d’annulation des factures et la mise en place de services d’information de la population en temps réel en cas de coupures et pollutions prolongées. Ces mesures immédiates sont susceptibles d’alléger les souffrances de la population dans l’attente de politiques publiques à la hauteur des enjeux.

Au-delà des « Outre-mers » français, une décision favorable de la part du Comité aurait permis de contourner cette limitation inacceptable et d’ouvrir la voie à la justiciabilité des droits protégés par la Charte à l’ensemble des territoires européens ultramarins. Il revient maintenant aux Etats membres qui continuent à traiter différemment leur population en fonction de leur lieu de résidence, d’aller au-delà de cette disposition, en déclarant aussitôt l’applicabilité de la Charte à l’ensemble de leur territoire.

Paris, 31 mars 2025

Soutenez les combats de la LDH

Les droits et les libertés ça n’a pas de prix, mais les défendre a un coût.