Chronique de jurisprudence

Par Patrick Canin, secrétaire général adjoint de la LDH

Sélection de décisions du Conseil d’Etat

 

Ordonnance du Conseil d’Etat du 11 décembre 2014, Centre Dumas-Pouchkine des diasporas et cultures africaines

Plusieurs requérants, dont des associations, avaient saisi le juge des référés du Conseil d’Etat d’une requête en annulation de l’ordonnance du 9 décembre 2014, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l’article L.521-2 (référé-liberté) du Code de justice administrative, avait rejeté leur demande tendant, d’une part, à suspendre la tenue de la représentation « Exibit B » programmée par l’établissement Le Centquatre, à Paris ; du 7 au 14 décembre 2014 et, d’autre part, à enjoindre au préfet de Paris et à l’établissement précité de mettre en œuvre toutes les diligences de nature à faire cesser tout trouble à l’ordre public dans le cadre de cette manifestation. Les requérants soutenaient, en premier lieu, que la condition d’urgence était remplie dès lors que la représentation litigieuse n’était programmée que jusqu‘au 12 décembre 2014, et, en second lieu, que le maintien de cette programmation constituait une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité de la personne humaine, justifiant que soit apportée une limite à la liberté d’expression au motif que, l’esclavage étant un crime contre l’humanité, la prestation en cause mettait « en représentation, dans des cages, des hommes et des femmes noirs, à l’instar des zoos humains de l’époque coloniale ». Le juge des référés du Conseil d’Etat rejette la requête, considérant que c’est à bon droit que le premier juge a considéré que l’absence d’interdiction par l’autorité administrative de cette manifestation ne portait aucune atteinte grave et manifestement illégale à la dignité de la personne humaine, le premier juge ayant relevé qu’eu égard aux conditions dans lesquelles il était présenté aux spectateurs « le spectacle « Exibit B » avait pour objet de dénoncer les pratiques et traitements inhumains ayant eu cours lors de la période coloniale ainsi qu’en Afrique du Sud au moment de l’apartheid ».

 

Arrêt du Conseil d’Etat du 12 décembre 2014, Association Juristes pour l’enfance et autres

Le Conseil d’Etat avait été saisi de plusieurs requêtes présentées par des associations et qui tendaient à l’annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du 25 janvier 2013 de la garde des Sceaux, ministre de la Justice, adressée aux membres du parquet et aux greffiers des tribunaux d’instance. Cette circulaire traitait des conditions de délivrance des certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger de Français « lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance, qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui ». La circulaire demandait à ses destinataires de veiller à ce qu’il soit fait droit aux demandes de certificats de nationalité, « dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d’un acte de l’état civil étranger probant au regard de l’article 47 du Code civil ». La circulaire précisait que « le seul soupçon du recours à une telle convention conclue à l’étranger ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de certificats de nationalité française, dès lors que les actes d’état civil local attestent du lien de filiation avec un Français ». Les requérants faisaient valoir que la circulaire était entachée d’illégalité interne au motif, notamment, qu’elle méconnaissait les dispositions des articles 16-7 et 16-9 du Code civil, les conventions portant sur la gestation ou la procréation pour le compte d’autrui conclues en France comme à l’étranger étant entachées d’une nullité absolue d’ordre public. Le Conseil d’Etat rejette les requêtes. En effet, ce dernier considère que « la seule circonstance que la naissance d’un enfant ait pour origine un contrat qui est entaché de nullité au regard de l’ordre public français ne peut, sans porter une atteinte disproportionnée à ce qu’implique en termes de nationalité le droit de l’enfant au respect de sa vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, conduire à priver cet enfant de la nationalité française à laquelle il a droit en vertu de l’article 18 du Code civil et sous le contrôle de l’autorité judiciaire, lorsque la filiation avec un Français est établie ». Le Conseil d’Etat relève encore que la circulaire attaquée ne méconnaît ni le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation, ni les stipulations du protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, ni celles de la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. On rapprochera cette décision des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme du 26 juin 2014 (Mennesson c. France, requête n° 65192/11 et Labasse c. France, requête n° 65941/11 : voir la Lettre d’information de septembre 2014) qui, à propos de la gestation pour autrui a condamné la France pour violation (au préjudice des enfants) de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, en raison du refus des autorités françaises de transcrire, en France, les filiations établies à l’étranger, transcriptions sollicitées par des ressortissants français qui avaient recouru, aux Etats-Unis, à la gestation pour autrui interdite en France.

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