Comment les fonds de l’UE en Turquie alimentent les violations des droits humains et les déportations forcées

Communiqué commun dont la LDH est signataire

Les organisations de la société civile soussignées expriment leur inquiétude quant à l’utilisation abusive des fonds de l’UE pour financer des déportations forcées vers la Turquie, aux portes de l’Union européenne. 

Un récent rapport d’enquête mené par Lighthouse Reports et ses partenaires médiatiques El País, Der Spiegel, Politico, Etilaat Roz, SIRAJ, NRC, L’Espresso et Le Monde, a révélé des abus systématiques dans les centres de rétention financés par l’UE et gérés par les autorités turques.  

Les incidents survenus dans les centres de rétention et les retours forcés effectués sous couvert de retour volontaire utilisés comme moyen de pression par les autorités sont depuis longtemps un sujet de préoccupation pour ceux qui travaillent dans le domaine de la migration et de l’asile en Turquie.  

Les graves violations des droits humains révélées comprennent la détention arbitraire de personnes réfugiées dans des centres d’expulsion financés par l’UE, le recours à la torture et aux abus contre les personnes détenues, les déportations forcées vers des pays à risque au mépris du principe de non-refoulement, le refus de l’aide juridique et les conséquences mortelles pour certaines personnes déportées. Les révélations du rapport mettent en lumière un changement inquiétant dans les politiques migratoires de l’Union européenne, où des fonds initialement destinés à l’aide humanitaire ont été réaffectés pour faciliter les déportations, entraînant de graves abus à l’encontre des personnes réfugiées et migrantes. 

Malgré les vives critiques des organisations de la société civile locales et de la communauté internationale, l’Union européenne et la Turquie sont parvenues en 2016 à un accord visant à freiner les flux migratoires vers l’Europe. En contrepartie, l’UE s’est engagée à verser plus de 11 milliards d’euros d’aide financière pour aider la Turquie à accueillir des millions de personnes fuyant la Syrie en raison du conflit. Une partie importante de ce financement a été consacrée au renforcement des capacités de contrôle et d’endiguement des frontières de la Turquie.   

Depuis 2016, la Turquie utilise de plus en plus cette infrastructure financée par l’UE pour des politiques axées sur l’expulsion, ce qui a entraîné le retour de milliers de Syriens et Syriennes, d’Afghans et d’Afghanes et d’autres groupes vulnérables vers des conditions dangereuses dans leur pays d’origine. En octobre 2024, le Conseil européen a adopté des conclusions qui soulignent l’engagement de l’UE à adopter une approche encore plus restrictive en matière de migration. Ces mesures comprennent l’accélération des expulsions, le renforcement de la sécurité aux frontières extérieures, l’utilisation accrue des centres de traitement des demandes d’asile dans des pays tiers et le renforcement des partenariats avec les pays non-membres de l’UE pour la gestion des migrations. Ces mesures reflètent une approche politique plus large de l’UE et des Etats membres, qui privilégient la dissuasion et les retours plutôt que la protection des personnes réfugiées, sous l’influence de la montée des pressions politiques d’extrême droite en Europe.  

La Turquie, quant à elle, applique depuis longtemps des politiques de retour visant les réfugié-e-s syrien-ne-s et d’autres ressortissant-e-s, exacerbant ainsi les violations des droits humains. De soussignées organisations ont constamment soulevé des préoccupations concernant l’instrumentalisation des politiques d’asile par le gouvernement turc, en particulier en ce qui concerne les incitations au retour des personnes réfugiées syriennes dans leur pays où elles ne sont pas en sécurité. 

Nous, signataires, sommes préoccupés par la pratique des déportations forcées, en particulier vers des pays dangereux tels que la Syrie et l’Afghanistan, où les personnes renvoyées courent des risques importants pour leur vie et leur sécurité. Ces actions violent le droit international, en particulier le principe de non-refoulement et les cadres juridiques de l’UE conçus pour protéger les personnes réfugiées et les demandeuses et demandeurs d’asile. 

L’Union européenne doit assumer ses responsabilités en tant que principal bailleur de fonds de ces opérations. Des enquêtes antérieures ont montré que des fonds de l’UE étaient également utilisés à des fins d’expulsion en Afrique du Nord. Les fonds de l’UE ne devraient jamais être utilisés pour soutenir des activités qui entraînent des violations des droits humains. Nous demandons à la Commission européenne de rendre compte publiquement de l’allocation des fonds à la Turquie et de veiller à ce que tout financement soit pleinement aligné sur les normes de l’UE en matière de droits humains. 

Les organisations soussignées demandent : 

  • L’UE doit cesser immédiatement tout financement de toutes les installations turques impliquées dans des expulsions forcées jusqu’à ce qu’un examen complet, transparent et indépendant soit mené. 
  • Une enquête internationale indépendante, impliquant des organisations de la société civile, doit être lancée afin d’examiner en profondeur le détournement des fonds de l’UE et d’assurer la responsabilité de tout abus révélé. 
  • L’UE doit systématiquement réaliser des évaluations ex ante de l’impact sur les droits humains avant la signature de tout programme avec un pays tiers. Lorsqu’un accord est en place, comme c’est le cas avec la Turquie, des contrôles continus, des examens et la suspension du programme lorsque les droits humains ne sont pas respectés sont nécessaires. 
  • L’UE doit respecter ses propres engagements en matière de droits humains dans toutes ses politiques migratoires et veiller à ce que ses contributions financières ne contribuent pas à aggraver les souffrances humaines.

Les organisations signataires : ARCI, Association for Monitoring Equal Rights (ESHID) – Turkey, Association Marocaine Des Droits Humains – AMDH, Cairo Institute for Human Rights (CIHRS), Center for Legal Aid – Voice in Bulgaria, Citizens’ Assembly – (h)Yd, CNCD-11.11.11, Comisión Española de Ayuda al Refugiado – CEAR, EuroMed Droits, Fondation pour la Promotion des Droits en Algérie, Greek Council for Refugees (GCR), Human Rights Association (İHD) – Turkey, Human Rights Agenda Association (İHGD) – Turkey, Human Rights Joint Platform (İHOP) – Turkey, Iridia – Center for the Defense of Human Rights, Kaos Gay and Lesbian Cultural Research and Solidarity Association (Kaos G) – Turkey, KISA (KISA – Equality, Support, Antiracism), LDH (Ligue des droits de l’Homme) – France, Rights Initiative Association (HİD) – Turkey, Safe Passage International 

Le 6 novembre 2024

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