Résolution adoptée par le 83ème congrès de la LDH, Lille – 3, 4 et 5 juin 2005
Il y a un siècle, la France a affirmé sa propre voie vers la liberté de conscience et l’émancipation du pouvoir politique de toutes les religions, en adoptant la loi de séparation des Églises et de l’État. De 1880 à 1905, la République avait libéré l’enseignement de la tutelle de l’Église catholique, reconnu les syndicats et le droit d’association, rétabli le divorce et proclamé la laïcité des institutions. Depuis, ce vaste mouvement des idées et des mœurs s’est répandu, au fil des années, dans toutes les strates de la société et l’a imprégnée au point de devenir une référence commune, y compris chez ses anciens et plus farouches adversaires. Cette victoire n’a été possible que parce que la laïcité a entraîné, dans l’esprit et dans les faits, bien plus que le cantonnement de la foi et des Églises à la société civile et leur exclusion de la sphère politique. Le rejet du pouvoir de l’Église catholique s’est accompagné d’une formidable volonté d’affirmer l’égalité des droits, ouvrant l’espoir d’une société plus juste dans laquelle, notamment à travers l’école, s’est reconnue la majorité des Français. La laïcité de la République, ce n’était pas seulement, dans cette IIIème République qui bataillait tous les jours pour ancrer la démocratie au plus profond de la société française, le rejet du cléricalisme. Il en découlait aussi la revendication de l’égalité sociale réelle et le refus de toutes les discriminations. Un siècle après, les principes et les ambitions de la loi de 1905 sont aujourd’hui toujours d’actualité et aucune considération ne justifie qu’ils soient modifiés.
Exiger leur application reste, en revanche, un défi quotidien et plus que jamais nécessaire sur le territoire de la République, dans ses régions, ses départements et ses territoires d’outre-mer. Promouvoir la laïcité et combattre le racisme s’inscrivent dans la lutte universelle des droits de l’Homme. Le déclin des pratiques religieuses n’empêche pas, dans toutes les religions, un raidissement des hiérarchies religieuses et l’apparition de groupes d’autant plus intégristes qu’ils sont minoritaires. De nombreux éléments nous obligent à ne pas baisser la garde : absence d’école publique dans certaines communes, contournement par certains départements et certaines régions de la loi Falloux, investissement de l’espace public par des forces religieuses pour tenter d’imposer la primauté d’un prétendu « dogme » religieux. En tout état de cause, il nous appartient d’exercer une vigilance constante face à la tentation de réduire la laïcité à la seule coexistence des religions alors qu’elle permet la création d’un espace public et privé qui dépasse les appartenances individuelles ou collectives de toute nature. En même temps, et parce que la laïcité garantit le libre exercice public et privé des cultes, aucun culte ne peut subir d’autres restrictions que celles « qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publics, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »1
Aujourd’hui, les musulmans subissent, en France, une discrimination qui se manifeste non seulement par la difficulté d’édifier leurs lieux de cultes mais aussi par un discours faisant de l’islam un mal fondamental. Rien n’interdit de critiquer le contenu de telle ou telle foi, et la liberté de pensée comme la liberté d’expression excluent l’idée même du blasphème. Mais, rien n’autorise à enfermer les fidèles d’une foi dans une stigmatisation générale et à nier leur qualité de citoyen pour ne retenir que leur appartenance religieuse. La loi sur le port des insignes religieux à l’école, en fait et dans la réalité contre le voile, a provoqué, au sein de la LDH comme ailleurs, de nombreux débats voire de profonds désaccords. Nous réaffirmons que ce débat est légitime dès lors qu’il ne se réduit pas à des anathèmes et à des caricatures. Depuis la première manifestation de cette controverse en 1989, la LDH n’a jamais cessé d’affirmer son opposition à l’exclusion des jeunes filles voilées, dès lors que tous les enseignements étaient suivis. La LDH maintenait ainsi sa confiance dans le dialogue et l’éducation aux valeurs de la laïcité.
Nous n’ignorons pas que le voile est porté pour des raisons très diverses qui ne peuvent se réduire à une seule explication : fait culturel ou religieux, affirmation de soi ou pressions extérieures, qu’elles émanent de l’environnement familial ou de groupes fondamentalistes. Nous n’ignorons pas, non plus, que le voile constitue un symbole de la domination patriarcale et de la peur d’une libération du corps féminin et de la sexualité. Mais exclure ces jeunes filles en raison du port du voile à l’école, c’est faire d’elles les victimes d’une double violence sans, pour autant, assurer l’intégration d’une population marquée du sceau de l’exclusion. En ce domaine, c’est d’une ambition d’une autre ampleur qu’une loi de circonstance que nous avons besoin. L’école de la République doit assumer sa vocation, ce qui nécessite des moyens matériels et humains et la mise en œuvre d’un véritable projet éducatif. Cette ambition passe, aussi, par la reconnaissance d’une diversité culturelle qui doit s’exprimer dans le cadre de l’égalité de traitement que la République doit assurer à tous. Elle passe par un véritable projet politique qui prenne en compte l’exclusion dont sont victimes des millions de personnes, françaises ou non, musulmanes ou non, et qui mette en œuvre une réelle politique d’égalité effective entre les hommes et les femmes. C’est à ce prix-là que les femmes cesseront d’être victimes de violences réelles ou symboliques, c’est à ce prix-là que l’on évitera de contraindre les esprits ou, pire encore, de transformer l’islam en un instrument de révolte. Il n’est pas de réponse laïque, ni de lutte efficace contre le risque de communautarisme, hors du combat pour l’égalité et la citoyenneté sociale.
Ce sont les mêmes principes qui guident la LDH dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Ceux-ci ne cessent de progresser – en particulier l’antisémitisme alors que nous commémorons le 60ème anniversaire de la libération d’Auschwitz – et d’envahir la vie quotidienne, qu’il s’agisse d’insultes, de violences ou de discriminations. Les raisons de cette situation sont multiples et complexes, sans qu’il soit possible d’en privilégier aucune. Trop souvent, les juifs se voient attribuer la responsabilité des actes des gouvernements israéliens et certains, partant de la critique du gouvernement d’Israël, en viennent à remettre en cause l’existence de cet État. À l’inverse, la tentative de taxer d’antisémitisme toute critique de la politique suivie par le gouvernement de ce pays revient à l’exonérer de ses obligations. Par ailleurs, les populations héritières de l’immigration et françaises depuis des générations, sont enfermées dans des situations sociales désespérées et souffrent de processus discriminatoires sans cesse renouvelés et jamais réellement combattus. L’obscurité dans laquelle sont laissées ces discriminations qui frappent toute une partie de la population ne peut qu’exacerber le ressentiment. Chacun se croit alors autorisé à hiérarchiser ses souffrances et cela conduit à une insupportable concurrence des victimes. Trente années de chômage de masse, exploitées depuis 1984 par une extrême droite qui n’a jamais disparu, ont profondément marqué la société française.
La LDH, avec la quasi-totalité du mouvement syndical et 125 autres organisations, a appelé, le 7 novembre 2004, à une manifestation contre l’antisémitisme, le racisme, le sexisme et toutes les discriminations, notamment en raison de l’orientation sexuelle. Certains ont refusé de se joindre à cet appel. Les raisons apparentes de cette attitude furent la présence de trois organisations qualifiées, soit de fondamentalistes, soit d’ennemies de la laïcité. Les mêmes critiques ont été portées du sein même de la LDH. Quelles que soient les divergences ou les oppositions que nous entretenons avec plusieurs des organisations signataires de l’appel, la LDH observe qu’elles ont adhéré à cet appel et aux valeurs qu’il porte et que nul n’était légitime à les exclure, sauf à les diaboliser. Dans la réalité, la divergence essentielle que nous avons avec les organisations qui ont refusé de participer à cette initiative, c’est la volonté de créer une hiérarchie entre les victimes. Nous refusons que la lutte contre toutes les formes de racisme et d’exclusion soit hypothéquée par une vision qui postule la prééminence de telle ou telle forme de racisme. Sans méconnaître les singularités de chacune de ces haines, notamment la permanence multiséculaire en France et en Europe d’un antisémitisme qui a conduit à la destruction des juifs d’Europe ou l’héritage du colonialisme, nous refusons que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme soit dévoyée vers des replis communautaires. Chaque discrimination, chaque manifestation de racisme, d’antisémitisme, de sexisme ou en raison des orientations sexuelles est l’affaire de tous, quelles que soient notre origine ou nos opinions philosophiques ou religieuses.
Ainsi, avec le souci de favoriser l’unité de cette lutte, mais sans consentir que d’autres édictent des exclusives, la LDH poursuivra, plus d’un siècle après sa fondation à l’occasion de l’affaire Dreyfus, son action en faveur d’une réponse commune à ce mal universel.
Résolution adoptée par 246 pour, 28 contre, 9 abstentions.
1Article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme