Communiqué commun.
Comme on pouvait s’y attendre, compte tenu de la motivation très ferme de l’ordonnance par laquelle le juge des référés avait suspendu, le 19 novembre dernier, la disposition du décret du 23 août 2013 contestée par neuf syndicats et associations, le Conseil d’État a annulé, le 16 juillet, cette même disposition. Elle avait pour effet, selon ses propres termes, d’instaurer pour les ressortissants des pays tiers à l’UE, à la place du régime d’autorisation qui prévalait jusqu’alors, « une interdiction générale et absolue d’accès à l’enseignement » dans les établissements privés sous contrat en tant que maîtres contractuels ou agréés.
Il faut se réjouir que cette mesure discriminatoire ait été censurée par le juge, qui n’a pas été convaincu par les prétextes fallacieux invoqués par le gouvernement pour la justifier. Cette mesure, au-delà du coup porté aux droits et aux attentes légitimes des personnes directement concernées, aurait constitué une véritable régression.
Le Conseil d’État, pour annuler la disposition contestée, s’est fondé sur sa contrariété avec les dispositions à valeur législative du Code de l’éducation. Cette contrariété est directe, dans le cas de l’enseignement primaire et technique, pour lesquels le Code énonce qu’il faut avoir la nationalité française ou celle d’un État membre de l’UE mais prévoit aussi la possibilité d’accorder des autorisations individuelles aux personnes originaires de pays tiers : le pouvoir réglementaire ne pouvait donc pas supprimer cette possibilité. S’agissant de l’enseignement secondaire général et professionnel, le Conseil d’État estime que, dès lors qu’aucune disposition législative ne prévoit de condition de nationalité, le gouvernement ne pouvait pas en introduire une de son propre chef.
Espérons que la leçon sera méditée par le gouvernement.
Cette victoire reste cependant ponctuelle et sa portée doublement limitée. Elle est limitée parce que, compte tenu du motif d’annulation, le Conseil d’État a rendu une « décision d’espèce » ; or nous souhaitions lui faire dire une fois encore, comme il l’a fait à plusieurs reprises dans le passé, qu’une différence de traitement fondée sur la nationalité est illégale et constitue une discrimination prohibée lorsqu’elle n’a pas de justification « objective et raisonnable » – ce qui était à l’évidence le cas ici.
La portée de la décision est également limitée dans la mesure où, par hypothèse, elle ne traite que de l’accès aux emplois dans l’enseignement privé.
Or notre revendication ne s’arrête pas là : nous demandons que les concours de l’enseignement primaire et secondaire public soient ouverts à tous, débouchant sur la titularisation comme fonctionnaires, comme on l’a admis depuis plus de trente ans pour l’enseignement supérieur et la recherche. Aucune raison valable ne justifie que les enseignants originaires de pays tiers auxquels on a recours, parfois massivement, pour compenser les déficits de recrutement soient maintenus dans des emplois précaires et sous-payés alors qu’ils remplissent les mêmes fonctions que leurs collègues français ou citoyens de l’Union européenne.
Au-delà encore, nous réclamons depuis de longues années l’abrogation des textes qui ferment à ces mêmes personnes l’accès à des centaines de milliers d’emplois ou de professions et l’alignement de leur statut sur celui des citoyens de l’Union européenne. La prise de conscience du caractère injustifié et inéquitable de ces exclusions remonte aux années 1990 ; mais, en dépit de la longue série de rapports qui ont permis de prendre la mesure du phénomène et fait des propositions de réforme, et alors que la Halde a recommandé à son tour, en 2009, de supprimer la condition de nationalité pour l’accès aux emplois de la fonction publique, du secteur parapublic et du secteur privé ne relevant pas de la souveraineté nationale ou de l’exercice de prérogatives de puissance publique, aucune réforme d’envergure n’a été entamée, faute de détermination et de courage de la part des pouvoirs publics.
La censure claire et nette du Conseil d’État constitue un encouragement à poursuivre le combat pour la suppression des emplois fermés et la reconnaissance pleine et entière du droit fondamental au travail pour tous, sans distinction de nationalité.
Le 23 juillet 2014
Organisations signataires :
- Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s)
- LDH (Ligue des droits de l’Homme)
- FERC-CGT (Fédération de l’Education, de la Recherche et de la Culture)
- SNEIP-CGT (Syndicat National de l’Enseignement Initial privé)
- SUNDEP-Solidaires (Syndicat unitaire national démocratique des personnels de l’enseignement et de la formation privés) avec le soutien de l’Union syndicale Solidaires