Lettre ouverte collective à l’attention du président de la République, Emmanuel Macron, et du Premier ministre, Michel Barnier
Paris le 12 novembre 2024,
Monsieur le président de la République,
En février dernier, en pleine mobilisation du monde agricole mettant à l’index les dangers que font courir les accords de libre-échange sur le revenu des agriculteurs et paysans, vous aviez annoncé que la Commission européenne avait « stoppé » les négociations avec les pays du Mercosur et vous vous étiez félicité que l’accord n’ait « pas été conclu à la va-vite ».
Dans la réalité, les discussions entre les négociateurs européens et sud-américains n’ont jamais cessé. Deux nouveaux rounds de négociations se sont tenus à Brasilia en septembre et octobre. Le sommet du G20, qui se tiendra à Rio de Janeiro les 18 et 19 novembre prochains, est régulièrement évoqué comme une opportunité d’agenda pour annoncer qu’un accord a été trouvé.
Nous sommes extrêmement préoccupés de voir ces négociations se dérouler dans la plus grande opacité, derrière portes closes, sans que ni les parlementaires, ni l’opinion publique, ni les citoyens et les organisations de la société civile ne soient dûment informés de leur contenu, ni par la Commission européenne ni par le gouvernement français. Cela est d’autant plus préoccupant que cet accord soulève des objections sévères pour ses impacts en matière de climat, de droits humains et des peuples autochtones en particulier, de déforestation, de biodiversité, d’emplois et de justice sociale.
Ces préoccupations sont d’autant plus vives que la lettre de mission que la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a remis à Maros Sefcovic, proposé pour devenir commissaire européen au commerce, n’envisage pas autre chose que finaliser tous les accords de libre-échange en cours de négociation. Dont l’accord UE-Mercosur. Quant à la lettre de mission du vice-président à la prospérité et la stratégie industrielle, poste proposé à Stéphane Séjourné, et sous la responsabilité duquel le commissaire au commerce pourrait être placé, elle affirme que le « libre-échange » reste « essentiel ».
En plus de n’être toujours pas abandonné, l’accord UE-Mercosur pourrait donc être prochainement finalisé. Pourquoi ? Parce que la Commission européenne dispose toujours d’un mandat de négociation au nom des 27 Etats-membres et qu’aucun d’entre eux, pas plus la France qu’un autre, n’a jamais exigé ni son abandon ni son réexamen. Par ce courrier, nous, organisations de la société civile, nous vous demandons donc de :
- clarifier publiquement la position française au niveau européen et d’expliquer comment vous allez vous y prendre pour que ces négociations soient arrêtées ;
- construire une minorité de blocage avec les autres pays européens critiques de cet accord (Autriche, Irlande, Pays-Bas etc) ;
- exiger et obtenir un réexamen du mandat de négociation dont la Commission européenne dispose.
Nous demandons également au gouvernement, et particulièrement à la nouvelle Ministre au commerce extérieur de :
- garantir la transparence indispensable sur ces négociations en publiant les textes de négociation existants que la Commission refuse de rendre publics ;
- tenir informés les parlementaires et les organisations de la société civile du déroulé des négociations, des points précis objets des discussions en cours, et de la façon dont les positions antérieures de la France sont respectées ou pas ;
Permettez-nous d’insister sur l’urgence d’intervenir au plus vite, avant que les négociations ne soient finalisées. Nous sommes en effet extrêmement préoccupés d’entendre la Commission européenne envisager de scinder l’accord UE-Mercosur (« splitting »), c’est-à-dire séparer le volet strictement commercial du reste de l’accord, comme elle l’a déjà fait pour l’accord avec le Chili et souhaite le faire pour celui avec le Mexique, pour en faciliter la ratification. La France pourrait alors perdre tout droit de veto au Conseil et les Parlements nationaux n’auraient pas à se prononcer sur la ratification de la partie commerciale de l’accord. Lors du round de négociations de début octobre, la « structure légale de l’accord », et donc la possibilité d’un « splitting », était à l’ordre du jour des négociations. Avec nos partenaires européens et d’Amérique latine, nous attendons de la France qu’elle rejette avec fermeté cette possibilité que la Commission européenne semble envisager de plus en plus sérieusement, y compris par une panoplie d’initiatives légales, telle la saisie de la Cour de justice de l’Union européenne.
Enfin, permettez-nous de rappeler que tant que la Commission aura mandat de négocier cet accord au nom des 27 Etats-membres, dont la France, elle sera légitime à poursuivre ; son mandat de négociation, dont elle dispose maintenant depuis 25 ans, ne mentionne ni le climat ni la biodiversité ni la préservation des emplois. Il n’aurait par ailleurs jamais été rendu public si la société civile ne l’avait pas fait. Il est donc totalement obsolète. Obtenir son retrait est un préalable pour qui veut, comme vous l’avez affirmé au Brésil en avril 2024, « bâtir un nouvel accord ».
Nous souhaitons enfin profiter de ce courrier pour rappeler que les derniers sondages d’opinion montrent que les accords de libéralisation du commerce sont largement rejetés par l’opinion publique de nombreux pays, notamment en France : il n’y a plus de majorité sociale en faveur d’accords qui contribuent à importer et exporter toujours plus de biens et services par delà les frontières au détriment des bons emplois, de l’activité agricole et industrielle, des productions de qualité, du climat et de la biodiversité, des droits humains et sociaux, etc.
Veuillez recevoir, monsieur le président de la République, nos respectueuses salutations.
Organisations nationales signataires :
ActionAid France, Action non-violente COP 21 (ANV-COP 21), AGTER, Aitec, Alofa Tuvalu, Alternatiba, Amis de la Terre France, Attac France, Autres Brésils, Bloom, Canopée Forêts Vivantes, CCFD-Terre Solidaire, CGT, Collectif Stop CETA-Mercosur, Comité Pauvreté et Politique, Comité de solidarité avec les Indiens des Amériques (CSIA-Nitassinan), Confédération paysanne, Crid, Ekō, Extinction Rebellion France, Fédération Artisans du Monde, Fédération syndicale unitaire, Fondation Copernic, Fondation pour la Nature et l’Homme, Foodwatch France, France Nature Environnement, France Amérique latine, FAL, Générations Futures, Greenpeace France, Institut Veblen, JAC – Jeunes Ambassadeurs pour le Climat, L’Atelier paysan, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Max Havelaar France, MIRAMAP, Nature & Progrès Fédération, Oxfam France, Planète Amazone, Union syndicale Solidaires