Communiqué dont la LDH est signataire
À la lumière de la pandémie de Covid-19 − qualifiée « d’urgence de santé publique de portée internationale » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) − nous, les organisations soussignées, exprimons notre vive inquiétude quant à la situation des détenu-e-s et des prisonnier-e-s dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA). Si certains Etats de la région ont pris des mesures positives pour protéger la population dans son ensemble, la population carcérale reste particulièrement exposée à la propagation du virus.
Plusieurs pays de la région MENA ont déjà des systèmes de santé surchargés, certains considérablement affaiblis par des années de conflit armé. Dans ces pays, les prisons et les centres de détention sont souvent surpeuplés, insalubres et souffrent d’un manque de ressources ; en conséquence, les détenu-e-s se voient régulièrement refuser un accès adéquat aux soins médicaux. Ces difficultés ne font que s’aggraver en période d’urgence sanitaire, exposant les personnes privées de liberté à des risques accrus , tout en accentuant la pression sur des infrastructures de santé en prison déjà fragilisées. De plus, les personnes en détention interagissent régulièrement avec les gardien-ne-s de prison, les policier-e-s et les professionnels de la santé qui sont en contact avec le monde extérieur. Ne pas protéger les prisonnier-e-s et le personnel pénitentiaire contre le Covid-19 peut avoir des conséquences négatives pour le reste de la population.
En vertu du droit international relatif aux droits humains, tout individu a droit au meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint. Les Etats ayant l’obligation de garantir la réalisation de ce droit sont tenus de veiller à ce que les détenu-e-s et les prisonnier-e-s soient traité-e-s humainement dans le respect de leur dignité et ne soient pas soumis-e-s à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Les Règles Nelson Mandela exigent le respect du principe d’équivalence des soins, ce qui signifie que les personnes placées en milieu pénitentiaire doivent pouvoir bénéficier de soins de santé équivalents à ceux mis à disposition de la population civile générale. Cela ne change pas en période de pandémie.
Bien que des restrictions, notamment sur les visites en prison, puissent être imposées pour freiner la propagation de maladies infectieuses comme le Covid-19, elles doivent respecter les principes de proportionnalité et de transparence. Toute mesure, y compris les libérations de prisonnier-e-s, doit être prise conformément à des critères clairs et transparents, sans discrimination.
À la lumière de ce qui précède, nous appelons les gouvernements de la région MENA à :
(1) Rendre publiques les politiques et directives spécifiques à leur pays et, le cas échéant, les politiques et lignes directrices mises en place pour empêcher la propagation de Covid-19 dans les centres de détention, les prisons et les commissariats de police.
(2) Partager leurs plans d’interventions d’urgence et dispenser une formation spécifique au personnel et aux autorités compétentes afin de garantir un accès suffisant et durable aux soins de santé et à l’hygiène.
(3) Procéder à un examen approfondi de la population carcérale et, en conséquence, réduire leur population carcérale en ordonnant la libération immédiate :
- des détenu-e-s et prisonnier-e-s « à faible risque », y compris celles et ceux qui ont été condamné-e-s ou placé-e-s en détention préventive pour des infractions non violentes, les personnes placées en détention administrative ainsi que toute personne dont la détention continue ne peut être justifiée ;
- des détenu-e-s et prisonnier-e-s particulièrement vulnérables au virus, y compris les personnes âgées et les personnes présentant un état médical sous-jacent grave, tel que des maladies pulmonaires et cardiaques, le diabète ou encore des maladies auto-immunes.
(4) Permettre aux personnes actuellement en liberté surveillée de s’acquitter de leurs obligations depuis leur domicile.
(5) Garantir que les personnes qui restent en détention :
(a) voient leur droit à la santé effectivement respecté en ayant pleinement accès aux soins médicaux nécessaires ;
(b) aient accès au test du Covid-19 et à une assistance appropriée selon le principe d’équivalence des soins ;
(c) disposent de moyens de communication et de possibilités d’accès au monde extérieur lorsque les visites en personne sont suspendues ;
(d) continuent de jouir de leur droit à une procédure régulière, y compris, sans s’y limiter, le droit de contester la légalité de leur détention, et leur droit de ne pas subir de retards qui rendraient leur détention arbitraire.
Nous appelons l’Organisation mondiale de la santé, le Comité international de la Croix-Rouge et les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies à publier des déclarations publiques et des directives mettant en évidence les recommandations et les meilleures pratiques à l’attention de tous les gouvernements en matière de détention et d’emprisonnement en période de pandémie.
Organisations signataires: Acat – France (Action by Christians against torture); Access now ; Al Mezan Center for Human rights ; ALQST for Human rights ; ANKH (Arab Network for Knowledge about Human rights) ; Ari (Arab Reform Initiative) ; Arci (Associazione Ricreativa Culturale Italiana) ; Association of Detainees and Missing in Sftnaya Prison ; AFTE (Association for Freedom of Thought and Expression) ; Bahrain Centre for Human Rights ; Bahrain Transparency Society ; Bar Human Rights Committee of England and Wales ; Civicus ; Committee for Justice ; Democratic Transition and Human Rights support (DAAM Center) ; Digital Citizenship Organisation ; Dignity (Danish Institute Against Torture) ; Egyptian Commission for Rights and Freedoms ; Egyptian Human Rights Forum ; El Nadim Center ; HaMoked (Center for the Defence of the Individual) ; Human Rights First ; IFEDL (Initiative franco-égyptienne pour les droits les libertés) ; International Commission of Jurists ; FIDH (International Federation for Human Rights) ; Kuwaiti Transparency Society ; Lebanese Centre For Human Rights ; LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; medico international e.V., Germany ; MENA Rights Group ; Mwatana for Human Rights ; Physicians for Human Rights – Israel ; Project on Middle East Democracy ; Reprieve ; Réseau Euromed France (REF) ; Robert F. Kennedy Human Rights ; Syrian Center For Legal Studies and Researches ; Syrian Network for Human Rights ; Tahrir Institute for Middle East Policy (Timep) ; UMAM Documentation & Research (MENA Prison Forum) ; Women’s March Global ; World Organisation Against Torture.
Paris, le 1er avril 2020