Tribune de Patrick Baudouin, président de la LDH
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Comme l’a fait valoir la LDH lors d’une récente session du Forum social européen à Florence, il y a urgence à reconstruire, dans le cadre d’une véritable solidarité internationale, un projet progressiste qui articule des réponses démocratiques, civiques, sociales, économiques, écologiques et culturelles pour fournir un accès effectif, et non sélectif, aux droits fondamentaux.
La Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée à Paris le 10 décembre 1948, contient un engagement à permettre l’exercice de tous les droits et de toutes les libertés « sans distinction aucune notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». Une telle formulation constituait une source d’espoir et un signal fort pour combattre les discriminations de tous ordres, et empêcher le retour à la montée du racisme et de l’antisémitisme d’avant-guerre ayant conduit aux pires atrocités, constitutives de génocide et crime contre l’humanité.
Hélas, c’est l’inverse qui se produit. Les partis d’extrême droite, et surtout les idées qu’ils véhiculent, sont en progression constante dans de nombreux pays, y compris dits de démocratie avancée, comme en Italie ou en Suède. La France n’est pas épargnée avec la progression du Rassemblement national (RN) qui, après une campagne électorale ayant habilement privilégié la défense du pouvoir d’achat, découvre son vrai visage et retrouve ses fondamentaux : racisme, antisémitisme, xénophobie, homophobie, nationalisme, rejet des étrangers et immigrés.
On assiste ainsi, dans un climat délétère et nauséabond, à la résurgence de la bête immonde du racisme, celle-là même qui génère la haine meurtrière entre les êtres humains. Les propos et les actes à caractère raciste, antisémite ou LGBTIphobe se multiplient : ainsi le meurtre de la jeune Lola a été l’occasion d’une récupération politique spécialement odieuse, tendant à assimiler les étrangers à des délinquants, avec ensuite le slogan « immigrés assassins », dans les manifestations ; à l’Assemblée nationale un député RN n’a pas hésité à interrompre un collègue noir par l’injonction « qu’il retourne en Afrique » ; à l’occasion du débarquement des naufragés du navire humanitaire « Ocean-Viking » ont été proférés, sans souci ni de vérité ni d’humanité, des propos abjects vis-à-vis des malheureux migrants.
Une prise de conscience s’impose d’autant plus qu’il existe un terreau favorable à cette progression des idées de l’extrême droite, dans un contexte de crises multiples : sociale, économique, climatique, sanitaire, guerrière, lesquelles s’avèrent anxiogènes et accélératrices du rejet de la classe politique dirigeante. Rien ne serait pire qu’une majorité silencieuse face à des minorités actives qui occupent le terrain, y compris avec la reconstitution de groupuscules fascistes. Toute compromission avec les idées de l’extrême droite doit être dénoncée, et ce n’est pas en s’appropriant certaines d’entre elles, comme le fait l’actuel ministre de l’Intérieur, qu’il sera possible d’en diminuer l’impact alors que cela ne contribue qu’à en renforcer l’influence, et que l’original sera toujours préféré à la copie.
L’expérience historique montre pourtant que l’exercice du pouvoir par les partis d’extrême droite n’a jamais conduit qu’à des violences, guerres et catastrophes diverses. Toutefois, une telle dénonciation de la nocivité des idées de l’extrême droite tirée du passé, si elle demeure indispensable, n’est plus suffisante pour convaincre tant il existe de déceptions, voire de révoltes devant les comportements et les choix de responsables politiques. Ceux-ci restent sourds aux angoisses et souvent légitimes revendications d’une partie de la population, qui s’avère dès lors réceptive aux discours les plus démagogiques.
En présence des défis qui se cumulent, il est impératif de porter un projet de lutte contre les inégalités et les injustices, doublé de la contestation sans relâche de toute forme de discrimination. Il s’agit aussi d’entreprendre, avec pédagogie et conviction, un véritable combat culturel contre l’extrême droite et ses idées, en mettant en avant la question de l’égalité et de l’effectivité de tous les droits pour tous et toutes. Il convient encore de ne rien laisser passer en présence de tous propos ou actes racistes, antisémites, discriminatoires qui relèvent d’une qualification pénale, et de saisir les juridictions compétentes aux fins de sanctions lorsque des personnes sont victimes d’atteinte à ces principes fondamentaux.
Comme l’a fait valoir la LDH lors d’une récente session du Forum social européen à Florence, il y a urgence à reconstruire, dans le cadre d’une véritable solidarité internationale, un projet progressiste qui articule des réponses démocratiques, civiques, sociales, économiques, écologiques et culturelles pour fournir un accès effectif, et non sélectif, aux droits fondamentaux. Cet objectif devrait placer la solidarité mondiale au cœur de ses préoccupations, contre toute identité excluant par dessein les personnes précaires et vulnérables. Sa mise en œuvre nécessite la mobilisation unitaire de tous les acteurs concernés : mouvements sociaux, société civile organisée, syndicats et partis politiques.
Ce combat des valeurs, juste et difficile, doit tout de suite être mené tant le poison du racisme, sans cesse prêt à renaître, conduit à attiser la haine qui est l’un des moyens de fracturer la société, d’affaiblir la démocratie, de détruire les libertés et d’accentuer les inégalités. Au-delà de ce combat, ce sont les fondements mêmes de l’Etat de droit, en péril, qui doivent être préservés.