Communiqué commun LDH, Cimade, Saf, Gisti, ADDE, Secours Catholique-Caritas France
Il a fallu attendre dix mois pour que le gouvernement se décide à tenir compte de la décision du Conseil d’Etat demandant de prévoir des modalités de substitution au téléservice ANEF. La nouvelle réglementation issue du décret du 22 mars 2023 reste toutefois encore ineffective, faute d’arrêté précisant le dispositif. Sur le terrain, les préfectures ne respectent toujours pas les obligations imposées par la jurisprudence.
Le 3 juin 2022, le Conseil d’Etat, saisi par nos organisations, annulait partiellement le décret du 24 mars 2021 rendant obligatoire le dépôt dématérialisé des demandes concernant certains titres de séjour dont la liste s’allonge progressivement. La Haute juridiction reprochait au ministère de l’intérieur de ne pas avoir prévu de modalité de substitution au téléservice (dénommé ANEF pour Administration numérique des étrangers en France) afin de permettre l’enregistrement des demandes en cas de dysfonctionnement de la procédure dématérialisée. Dans cette même décision, le Conseil d’Etat censurait également partiellement un arrêté pris en application du décret, au motif qu’il ne détaillait pas les modalités de l’accueil et de l’accompagnement devant être offert, y compris physiquement, aux personnes accomplissant leur démarche numérisée.
Le Conseil d’Etat consacrait ainsi deux obligations pour les pouvoirs publics : proposer un accueil et un accompagnement aux personnes en difficulté avec les démarches numérisées ; prévoir une modalité de substitution pour enregistrer les demandes en cas de bug du téléservice.
Le 23 mars 2023, soit avec dix mois de retard, le ministère a enfin publié le décret n°2023-191 du 22 mars 2023. Il prévoit qu’une « solution de substitution prenant la forme d’un accueil physique permettant l’enregistrement de la demande » doit être mise en place pour les personnes qui, malgré l’accompagnement proposé par l’administration, « se trouve[nt] dans l’impossibilité constatée d’utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception ou au mode de fonctionnement de celui-ci ». Mais la mise en conformité de la réglementation avec la jurisprudence n’est pas achevée : le décret renvoie à un arrêté pour fixer « les conditions de recours et modalités de mise en œuvre de la solution de substitution », ainsi que « les modalités de l’accueil et de l’accompagnement » devant être offert aux usagers depuis la création du téléservice ANEF. Cet arrêté n’est toujours pas publié à ce jour, alors que le ministère de l’intérieur a entre-temps, à compter du 5 avril 2023, ajouté à la liste des procédures totalement dématérialisées les demandes déposées par les membres de famille de personnes françaises et européennes, ainsi que celles par les travailleurs saisonniers.
Le Conseil d’Etat avait parallèlement précisé qu’il incombait aux préfectures de respecter ces obligations sans attendre la modification réglementaire. Or depuis dix mois, les préfectures ont pour la plupart persisté dans la voie du tout numérique, contribuant à une dégradation toujours plus flagrante des conditions d’accès aux procédures de demande de titre de séjour. Elles se sont contentées de créer des « points d’accès numériques », ersatz de guichets quasiment inaccessibles au public, faisant souvent appel au volontariat du service civique et proposant un accompagnement minimaliste – comme si elles faisaient semblant de mal comprendre le sens de la jurisprudence, confondant totalement les notions d’accueil et d’accompagnement, de solution de substitution et même d’alternative au numérique. Alors que la plupart des contentieux engagés par nos organisations en 2021 pour avoir imposé la dématérialisation illégalement sont encore pendants devant les tribunaux, de nouveaux recours ont dû être formés, telle la requête déposée cette semaine par nos organisations contre la préfecture des Bouches-du-Rhône.
Nos organisations exigent que soient tirées toutes les conséquences de la décision du Conseil d’Etat, même si elles continuent à regretter qu’il n’ait consacré qu’une alternative au rabais, laissée à la discrétion des préfectures. Nous avons conscience que la solution proposée ne suffira pas en tout état de cause à apporter aux personnes en difficulté face à la dématérialisation l’aide dont elles ont besoin, aussi longtemps que les moyens consacrés à l’accueil et à l’accompagnement des personnes concernées continueront à être sous-dimensionnés : il appartient au gouvernement de prendre les mesures adéquates pour restaurer les conditions d’un accès normal au service public dans toutes les préfectures.
Paris, le 18 avril 2023