Edito
Par Dominique Guibert, secrétaire général de la LDH,
Lors de son récent voyage en Guyane, le président Macron a tenté d’expliquer pourquoi la réglementation devait y être spécifique. Le président a expliqué combien c’est la géographie guyanaise qui expliquait que des dérogations et des mesures d’exception devaient s’appliquer.
Il a ainsi développé l’idée que puisque la Guyane avait près de 800 km de frontière avec le Brésil, il fallait renforcer la sécurité et les contrôles, en particulier sur le fameux pont sur l’Oyapok, à Saint-Georges. Tout un symbole ! Voilà un ouvrage qui ne sert pas à réunir des populations, souvent des mêmes familles, des mêmes peuples de la forêt, partageant les mêmes conditions de vie. Ils n’ont pas la possibilité d’utiliser le pont contrôlé par les gendarmes. Et bien la nécessité faisant loi, ils passent en pirogue plus loin, au mépris d’un visa qu’ils ne possèdent pas. Certes, il existe maintenant, à Saint-Georges, une carte dite transfrontalière distribuée au compte-gouttes et qui permet le passage du pont. Mais sa délivrance oblige le possesseur à renoncer à certains de ses droits – dans le même temps si cher à Macron… – de certains droits, tel l’AME !
Pourquoi la France, la seule puissance économique frontalières de cet autre géant de la géopolitique mondiale, n’a-t-elle pas négocié avec le Brésil, mais aussi avec le Suriname, des accords, incluant l’instauration d’un visa de passage, qui éviteraient des dépenses inutiles et surtout envisageraient des modèles de développement économes, respectueux des droits. On peut dire qu’à coups d’exceptions et de dérogations, la France s’est bien gardée de mettre en avant la rationalité qu’aurait eu à moyen et à long terme un tel accord. Pourquoi ? Parce que la temporalité de la vie politique réside dans une réussite à court terme des objectifs les plus grossiers. Le gouvernement croit avoir interprété que les Français, et d’Outre-mers aussi pense-t-il, veulent de la sécurité même s’il faut marcher sur les droits pour ce faire. Et donc il leur en donne. Totalement inhibé par la peur d’être en échec sur la sécurité, le gouvernement n’arrête pas de dériver vers le sécuritaire.
La deuxième caractéristique de la géographie guyanaise, c’est d’être en proximité frontalière et/ou maritime (Caraïbes, Suriname, Brésil) des routes des migrations. Et le président de dire que cette spécificité mérite que des mesures d’exception par rapport au droit commun permettent de pratiquer – humainement dit-il, puisque l’intérêt des personnes concernées est d’être informées de leur sort le plus vite possible – des expulsions expresses sans même attendre le dépôt d’une demande d’asile. Il faut alors rappeler au président que la France a été condamnée par la CEDH dans l’arrêt de Souza Ribeiro pour discrimination, puisque dans les Dom, le recours contre un arrêté d’expulsion n’est pas suspensif. On raconte même qu’à partir de l’aéroport Felix Eboué, très tôt le matin, on raccompagne vers le pays d’origine ou de transit, sans aucune procédure, dans l’illégalité et surtout dans l’invisibilité. C’est aussi le moment de rappeler publiquement qu’à partir des Dom, essentiellement Guyane et Mayotte, les forces de police aux frontières expulsent autant de migrants et de réfugiés que sur tout le territoire hexagonal.
On aurait attendu d’un président, élu pour aller en marche vers l’avant, qu’il ne se soit pas attiré vers l’arrière, vers la restriction des droits. Or en Guyane, à Mayotte, et plus largement sur tous les territoires, ce qui domine c’est la considération que les droits sont secondaires, même quand ce sont ceux de la République.
Il y a longtemps, très longtemps, dans une galaxie lointaine, un chercheur avait intitulé son livre, dans la collection Hérodote, « La géographie, ça sert à faire la guerre ». Aujourd’hui, on pourra y ajouter qu’elle sert aussi à supprimer des droits.