Mayotte : distribution discriminatoire de l’aide

Lettre ouverte commune dont la LDH est signataire et adressée à la présidente de la Commission européenne

Madame la Présidente de la Commission européenne,

Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido s’abattait sur Mayotte, 101ème département français et région ultrapériphérique de l’Union européenne. Ce minuscule territoire, situé dans l’océan Indien, a été complètement ravagé.

Depuis près d’un mois, les habitant-e-s de l’île traversent une crise humanitaire sans précédent.

Les habitant-e-s de Mayotte manquent de tout, à commencer par l’eau et la nourriture, les réseaux de distribution ayant été complètement détruits. Les habitant-e-s de Mayotte ont faim et nombreux sont celles et ceux qui, faute de mieux, boivent l’eau des puits et des rivières. Les distributions d’eau annoncées et de nourriture tardent à venir. Un risque de famine est avancé. Les produits de première nécessité manquent également cruellement.

Lors des distributions de l’aide alimentaire, des cas de discrimination fondés sur la nationalité nous ont été rapportés.

Les habitant-e-s de Mayotte ont besoin de soins urgents. Le nombre de blessé-e-s connu-e-s ne cesse d’augmenter. L’hôpital de campagne mis en service à compter du 24 décembre ne saurait à lui seul pallier les manquements constatés. Si une grande partie du réseau routier est de nouveau praticable, l’essence manque toujours et nombreux sont celles et ceux qui ne pourront pas accéder à ce centre de soins sans être véhiculés.

Les autorités sanitaires redoutent le déclenchement de pandémies et alertent sur les risques liés à la consommation d’eau eau sale ou polluée qui pourrait entraîner des gastro-entérites, mais aussi des cas de fièvre typhoïde, de leptospirose ou encore de choléra, dont une souche multirésistante à plusieurs antibiotiques qui est présente à Mayotte.

Les quartiers informels où vivaient 40% de la population sont entièrement détruits. Cent mille personnes, soit un tiers de la population totale de l’île, est sans abri et parmi elles une majorité est d’origine étrangère. Plusieurs médias (Libération, 20/12 [1]) font état de discriminations à l’égard des ressortissants étrangers dans la distribution des aides conditionnées à la possession d’une carte d’identité française, d’une carte de séjour, d’une carte vitale, d’un justificatif de domicile. D’autres médias (InfoMigrants 18/12 [2]) précisent que bien des exilé-e-s ne se rendent pas aux rares distributions par peur d’être interpellé-e-s. On ne peut que craindre que les ressortissant-e-s étranger-e-s soient expulsé-e-s si on se souvient de la manière dont l’Etat français, à la suite du cyclone Luis qui ravagea l’île française de Saint-Martin en 1995, avait achevé la destruction des bidonvilles, brûlé les maisons des étranger-e-s, encouragé aux retours dits « volontaires » (ce qui vient de commencer à Mayotte avec le départ de centaines de ressortissants comoriens, Mayotte 1ère 26/12 [3]) et finalement reconduit à la frontière nombre d’entre eux.

La France ne peut pas répondre à elle seule au défi de l’urgence humanitaire.

Nous, associations, présentes pour certaines à Mayotte, demandons à la Commission européenne, qui a répondu favorablement à l’aide sollicitée par la France, d’apporter un appui logistique sur place et de s’assurer de l’inconditionnalité de l’aide octroyée, en conformité avec les principes d’impartialité, de neutralité et de non-discrimination qui doivent guider toutes les actions de l’UE.

Nous vous prions de croire, Madame la Présidente de la Commission européenne, à l’assurance de notre meilleure considération.

Signataires : Cyrille Hanappe, Actes et Cités ; Virginie Amieux, présidente du CCFD-Terre solidaire ; Didier Fassin, président du Comede ; Bruno Morel, président d’Emmaüs France ; Christophe Daadouch et Vanina Rochiccioli, co-président·es du Gisti ; Nathalie Tehio, présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)

Paris, le 3 janvier 2025

 

[1] « A Mayotte, les travers d’une distribution d’eau potable pas vraiment équitable », Libération, 20 décembre 2024.

[2] « « J’ai peur de me faire arrêter en allant aux distributions alimentaires » : à Mayotte, la survie des migrants après le passage de Chido », Infomigrants, 18 décembre 2024.

[3] « Cyclone Chido : des centaines de Comoriens installés à Mayotte repartent vers Anjouan », Mayotte Première, 26 décembre 2024.

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