La France se doit de respecter les droits les plus élémentaires dans sa politique migratoire aux frontières intérieures.
Plusieurs associations, dont la LDH, avaient introduit un recours contre l’ordonnance et le décret portant recodification du Ceseda, et notamment contre l’article L. 332-3 qui étendait l’application du régime des refus d’entrée aux contrôles effectués aux frontières intérieures de l’espace Schengen, en soutenant qu’il était contraire au droit de l’Union et en suggérant au Conseil d’Etat de poser à tout le moins une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Le Conseil d’Etat, par une décision du 24 février 2022, a accepté de saisir la CJUE de la question de savoir si, en cas de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures, un étranger en provenance directe du territoire d’un Etat partie à la convention de Schengen peut se voir opposer une décision de refus d’entrée sans que la directive 2008/115/CE (dite directive « retour ») lui soit applicable.
La CJUE, par un arrêt rendu le 21 septembre 2023, a décidé que lorsqu’un Etat membre a réintroduit des contrôles à ses frontières intérieures, il peut adopter une décision de refus d’entrée à l’égard d’une personne « qui se présente à un point de passage frontalier autorisé situé sur son territoire », mais ce, « pour autant que les normes et les procédures communes prévues par cette directive soient appliquées [à cette personne] en vue de son éloignement ».
Ainsi, l’Etat membre a l’obligation de prendre et de mettre à exécution une décision d’éloignement vers un Etat tiers, peu importe que cette obligation neutralise, en pratique, les effets de la décision de refus d’entrée, empêchant ainsi tout refoulement vers l’Etat de provenance.
Il en résulte, en outre, que la mise à exécution de la décision d’éloignement vers un pays tiers doit être précédée et accompagnée de toutes les garanties prévues par la directive « retour », et notamment celles relatives au délai de départ volontaire, à l’accès à la procédure d’asile ou encore au régime des privations de liberté susceptibles d’être imposées dans ce cadre.
Il appartenait donc au Conseil d’Etat de tirer toutes les conséquences de cette décision.
Le Conseil d’Etat vient de rendre sa décision, ce 2 février 2024, sur le régime juridique appliqué aux frontières intérieures depuis 2015.
Conformément aux demandes des associations, le Conseil d’Etat annule l’article du Ceseda qui permettait d’opposer des refus d’entrée en toutes circonstances et sans aucune distinction dans le cadre du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures et souligne qu’il appartient au législateur de définir les règles applicables à la situation des personnes que les services de police entendent renvoyer vers un Etat membre de l’espace Schengen avec lequel la France a conclu un accord de réadmission – entre autres, l’Italie et l’Espagne.
Après huit ans de batailles juridiques, le Conseil d’Etat met enfin un terme aux pratiques illégales des forces de l’ordre, notamment en ce qui concerne l’enfermement des personnes hors de tout cadre légal et au mépris de leurs droits élémentaires à la frontière franco-italienne. Le Conseil constate que leur sont notamment applicables les dispositions du Ceseda relatives à la retenue et à la rétention qui offrent un cadre et des garanties minimales. Enfin, il rappelle l’obligation de respecter le droit d’asile.